Notre Mère qui es aux cieux

© Mathieu Paillard
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© Mathieu Paillard

Notre Mère qui es aux cieux

LA FIGURE DE DIEU
Les traditions judéo-chrétiennes conçoivent Dieu comme un père. Mais la symbolique liée à ce mot est infiniment large: consolateur, autorité familiale, protecteur… Pour ne pas se laisser enfermer dans une terminologie liée à une époque, Dieu est de plus en plus souvent présenté à la fois comme père et mère.

Comment décrire Dieu? Depuis le IVe siècle, le christianisme a recours aux trois figures de la trinité: Père, Fils et Saint-Esprit. «Des descriptions limitées, mais qui ont pour but d’essayer d’expliciter qui est Dieu avec des mots humains», explique Lauriane Savoy, doctorante en théologie pratique à l’Université de Genève. Des représentations d’autant plus limitées qu’elles sont essentiellement masculines. «Le Père et le Fils sont genrés et on a tendance à oublier l’Esprit, qui ne l’est pas», note la co-directrice de publication d’Une bible des femmes (Labor et Fides, 2018). 

«Quand on baigne dans un vocabulaire chrétien, on ne s’en rend plus compte, mais pour les personnes qui sont plus éloignées des Églises, c’est une conception du divin qui est très patriarcale», poursuit la chercheuse. «Et cela n’a pas de raison d’être, puisque, dans les textes bibliques, on utilise aussi des images féminines pour exprimer Dieu.» 

Les valeurs liées au père évoluent

«Aujourd’hui, on peut concevoir le père comme tendre. Mais jusqu’à récemment, la figure paternelle, c’était l’autorité, le chef de famille, le pouvoir, parfois la violence», énumère Lauriane Savoy. «Dans l’Antiquité, le chef de famille avait pouvoir de vie et de mort sur les membres de sa famille! C’est difficile de cantonner Dieu à ce rôle. Il est aussi tendre, doux et il s’abaisse jusqu’à s’incarner dans un milieu social défavorisé.» 

Même dans les textes bibliques, Dieu ne se laisse pas enfermer dans un seul concept »

Et restreindre Dieu à une figure paternelle peut aussi être difficile pour les personnes dont le propre père était dysfonctionnel ou abusif. «L’autorité n’est pas en soi problématique, typiquement lorsqu’elle est partagée au sein d’un couple parental», insiste Lauriane Savoy.

«Dans notre conception contemporaine de Dieu, on insiste beaucoup plus sur sa figure consolatrice. Et des théologiennes et théologiens expriment Dieu aussi au travers de la figure maternelle, ce qui est tout à fait justifiable bibliquement. Mais cela provoque parfois des résistances», relate la chercheuse. «C’est, probablement, le signe que l’on est attaché au langage que l’on a appris jeune. Si l’on sort des formules auxquelles on est habitué, on peut avoir l’impression de trahir une certaine tradition.» Alors que, justement, on est dans une réflexion plus profonde en provoquant la réflexion et en cassant certains clichés.

«Ce qui est important, c’est de se rendre compte que Dieu, même dans les textes bibliques, ne se laisse pas enfermer dans une seule présentation. Les auteurs essaient de mettre des mots pour expliquer qui est Dieu. On ne devrait donc pas trouver scandaleux d’essayer d’exprimer Dieu avec d’autres images, d’autres mots, et rester conscient que toute image pour le décrire reste insuffisante.»

Aujourd’hui, on conçoit le père comme tendre, mais pendant longtemps, la figure paternelle, c’était l’autorité.

Sur jecherchedieu.ch, dans les commentaires d’un article recensant pas moins de six passages bibliques comparant Dieu à une mère, le pasteur Marc Pernot poursuit cette réflexion avec une internaute: «C’est vrai que ces images sont très schématiques pour parler de Dieu, mais pour parler de lui/elle, qui est radicalement unique en son genre, il faudrait inventer un vocabulaire qui soit spécifique. C’est comme si nous voulions expliquer quel est le goût de la fraise à une personne qui n’en a jamais goûté. Pas facile… On serait obligé d’utiliser des images.» 

Dieu ne se résume pas à la masculinité

Même la seule symbolique de la figure paternelle ne saurait se résumer en un seul concept. Pour son intervention durant le cours public en ligne «Que faire du Notre Père» à la faculté de théologie de l’Université de Genève, le professeur de psychologie de la religion Pierre-Yves Brandt (Unil) énumère des archétypes de ce père, déjà présents dans la tradition juive et qui se retrouvent résumés dans le «Notre Père»: le père est celui qui est à l’origine, celui qui donne des repères (la loi), celui qui apporte soins et tendresse, celui qui protège, y compris de soi-même, et ce père déçu dont on espère le pardon.

«Si vous attachez à Dieu toutes ces caractéristiques, alors vous aurez envie de l’appeler père», note-t-il. Sans oublier de préciser que certaines de ses valeurs peuvent aussi être maternelles. Considérer Dieu comme un père ou une mère n’est, d’ailleurs, pas spécifique au christianisme ou au judaïsme. 

Perceptions différentes de qui est Dieu

Pour le professeur de sociologie des religions Jörg Stolz (Unil), qui a participé à une typologie des croyants (Religion et spiritualité à l’ère de l’ego, quatre profils d’(in-)fidélités, Labor et Fides, 2015), au sein même des chrétiens, on perçoit une différence dans la conception qu’ils se font de Dieu. «Les personnes attachées à des Églises institutionnelles (catholiques et réformés) insistent beaucoup sur l’amour de Dieu. Ils le voient comme une figure paternelle ou maternelle qui est un modèle d’amour inconditionnel, qui est toujours là. Il fait en sorte que l’on se sente mieux, est toujours à l’écoute et appelle à se dépasser. Pour les évangéliques, les caractéristiques de Dieu qui sont mises en avant sont un peu différentes. Il est, à la fois, le créateur, le chef de tout, un faiseur de miracles et un ami», explique le chercheur. «Pour les premiers, nous avions précisé ‹père› et ‹mère› pour définir Dieu, car il y a assez clairement un refus de le genrer. Dans la typologie mise en avant dans les Églises libres, on est plus clairement sur une figure masculine», avance-t-il. Une mise à jour de cette recherche devrait être publiée en 2021.

Se situer en relation avec un Dieu père et mère amène à endosser un rôle de fils ou de fille de Dieu.

Frères et sœurs en Christ

Pour Pierre-Yves Brandt, toujours durant le cours public auquel il a participé, la figure parentale de Dieu, rappelée notamment au travers de la prière du «Notre Père», participe, par ailleurs, à la construction de l’identité personnelle et communautaire. «Se situer en relation avec un Dieu père et mère amène à endosser un rôle de fils ou de fille de Dieu», constate-t-il. 

De même, «envisager Dieu comme père et mère de tous les croyants amène à endosser le rôle de frère ou de soeur de tous les croyants». Le chercheur insiste, également, sur le caractère structurant de la prière répétée. Réciter ce texte «favorise la construction psychologique de l’identité par l’identification aux rôles qu’elle induit».