Bob Dylan, l’irrécupérable
, Réforme
En Chine puis au Vietnam en avril, en Israël en juin, poursuivant son « Never Ending Tour » (« Tournée sans fin »), Bob Dylan ne prendra jamais sa retraite. D’un disque et d’un concert à l’autre, il a toujours été à la fois attendu et… inattendu. Ayant débuté en 1961 à New York dans la protest song avec une guitare sèche et un harmonica, ce petit juif issu d’une cité minière du Minnesota scandalise ses fans en passant à la guitare électrique quatre ans plus tard. Ses textes ne s’affadiront pas
Ses textes ne s’affadiront pas pour autant : Dylan est d’abord poète, ensuite chanteur. Il ne chante pas pour passer le temps : la misère, le racisme, les ventes d’armes, les sentences injustes, la société en pleine mutation, rien de tout cela ne le laisse indifférent. Au point qu’on veut l’ériger en porte-parole de sa génération.
Il refuse ce rôle de messie et, contrairement à Joan Baez qui deviendra franchement militante, il ne se laissera jamais récupérer. En 1966, un accident de moto le détourne des drogues en le ramenant vers les eaux paisibles du folk et même de la country avec Johnny Cash. Ses métamorphoses, y compris vocales, seront multiples, la qualité de ses productions oscillant du moyen au franchement génial.
À l’instar de certaines prophéties bibliques, ses inspirations fulgurantes – et incongrues – font irruption dans son œuvre. Ainsi en est-il de Knockin’ on Heaven’s Door, cette chanson qui intervient au moment où le shérif va mourir, dans le western Pat Garrett and Billy the Kid dont il a composé la musique. Or, a posteriori, elle fait figure d’autoprophétie : « Il commence à faire noir, trop noir pour voir/ Je crois bien que je frappe à la porte du ciel. »
Un jour, coup de théâtre : on annonce que Bob Dylan s’est converti au christianisme ! Est-ce vraiment crédible de la part de celui dont le judaïsme se mâtine de bouddhisme et de diverses spiritualités plus ou moins fumeuses ? Mais pas de doute : en 1979 sort Slow Train Coming qui annonce clairement la couleur.
Scandalisés, les non-chrétiens sont cependant confondus par l’exceptionnelle inspiration musicale et vocale de ce disque qui commence par ces mots : « Tu as beau être ambassadeur d’Angleterre ou de France/ Tu as beau être champion du monde des poids lourds/ Mais tu vas devoir servir quelqu’un, aucun doute/ Ce sera le diable ou le Seigneur/ Mais tu vas devoir servir quelqu’un. »
Lui-même confirmera explicitement sa conversion : « J’ai vraiment vécu la nouvelle naissance, si on veut l’appeler comme ça. C’est arrivé en 1978. J’étais conscient qu’il y avait un Dieu créateur de l’univers, mais je n’avais pas conscience de Jésus ni de ce qu’il avait à voir avec le créateur suprême. »
Par la suite, certains diront qu’il a abandonné le Christ pour revenir au judaïsme, d’autres qu’il est fort légitimement devenu judéo-chrétien. Aujourd’hui encore, il continue de parsemer ses CD de citations ou d’allusions bibliques significatives.
Dans ses derniers CD, Dylan revient au blues, au country, tâte du rockabilly de sa jeunesse et s’essaye au jazz. Sa voix est devenue plus profonde, plus chaude, plus râpeuse. Ce qui étonne, c’est une certaine sérénité, une certaine décontraction, pour ne pas dire une certaine allégresse. Dylan vieillit comme un bon vin.
Quand on le croit à bout de souffle, il nous revient avec quelques surprises. En dépit de quantité de livres lus sur lui et de lui, d’un carton entier de coupures de presse à son sujet, de l’écoute de presque tous ses disques, on a l’impression de ne pas savoir grand-chose de lui. Et c’est étrange d’avoir une sorte d’affection pour quelqu’un d’ultracélèbre qui s’est toujours ingénié à rester méconnu…
Légende photo : Bob Dylan (à droite), Cher et Sonny
Discographie, bibliographie, filmographie :
- The Times They Are A-Changin’ (1964) : son dernier disque folk ; quatre ans avant Mai 68, annonce le chambardement de l’Occident.
- Slow Train Coming (1979) : le disque de la conversion, enregistré avec Mark Knopfler, guitariste de Dire Straits. Bouleversant de A à Z… ou d’Alpha à Omega.
- Infidels (1983). Intégralement superbe.
- Oh Mercy (1989), produit par Daniel Lanois. Inspiré, notamment le poignant Man in the Long Black Coat, qui sera repris entre autres par Joan Osborne.
- Time out of Mind (1997), encore avec Daniel Lanois. À la fois ténébreux et très sentimental.
- Chroniques, vol. 1 (Fayard, 2005) : autobiographie de commande, où Dylan se livre par touches, avec sincérité et modestie.
- Bob Dylan. No Direction Home : film documentaire de Martin Scorsese (2005). Couvre la vie de Dylan de 1941 à 1966. Long, mais prenant. PH. M.