À l'origine, le titre du film c'était «Les Protestants!»
Quand des militants pacifistes sont venus vous voir, que saviez-vous de leur histoire ?
Rien du tout! L’un d’entre eux avait été mon enseignant, ils étaient retraités, s’étaient retrouvés via un groupe de parole et s’interrogeaient sur quelle cause ils pourraient militer. Et je me suis dit que je pourrais développer avec eux une oeuvre de cinéma, à cheval entre le documentaire, soit leur passé et la fiction, c’est-à-dire ce qu’ils feraient aujourd’hui pour changer le monde.
Pourquoi avoir voulu de la fiction là où existe un passé déjà fort ?
Pour toucher un public plus large. Et c’est aussi une démarche artistique et personnelle, j’avais envie de développer mon propre style, de continuer avec l’univers que j’ai mis en place depuis Tapis Rouge (Fresh Prod, 2017). La direction d’acteurs tient une grande place pour moi. Travailler avec des non-professionnels donne des résultats surprenants, une vérité particulière se dégage.
Vous utilisez la fiction pour mieux dire la réalité…
Truffaut disait que la réalité a plus d’imagination que la fiction. C’est ce qui donne sens à mon travail, gratter dans les sentiments, faire émerger des sensations, des sentiments des émotions de personnes qui ne sont pas des acteurs. Alain Simonin, par exemple, est un personnage exceptionnel, on a révélé chez lui un talent inconnu de son entourage… et de lui-même !
C’est aussi un film sur l’antimilitarisme
Il est vrai que les débats de l’époque avaient été oubliés. J’ai réalisé en discutant avec ces militants que leur combat pour l’objection de conscience avait permis un progrès: l’instauration du service civil par la loi de 1992, qui a une répercussion énorme sur la jeunesse d’aujourd’hui! En ce sens, ce film est un hommage: si ces gens-là n’avaient pas déposé leurs armes devant le Palais fédéral en 1971, un acte de désobéissance civile, il n’y aurait pas de service civil aujourd’hui.
Quel est le lien entre ces militants et le Dieu du titre?
Si Dieu existe, pour moi, il est dans la puissance des rapports humains et de l’amitié, qui est bien décrite dans le film par la relation entre deux protagonistes. Alain et André sont opposés sur de nombreux plans, politiques et religieux, mais se retrouvent sur la question du pacifisme. Pour moi, cette idéologie est d’une force incroyable, et au-dessus des autres…
Les militants que vous évoquez étaient-ils aussi protestants?
Oui bien sûr! Le titre original c’était Les Protestants, on ne l’a pas gardé, car tous les protagonistes n’ont pas les mêmes orientations, certains sont furieusement athées. Mais la moitié du groupe s’est rencontré à la paroisse de Chêne-Bougeries (Genève).
Comme beaucoup d’oeuvres aujourd’hui, votre film donne la parole aux séniors…
Les gens de cette génération n’ont pas de langue de bois. On vit à une époque de généralisations, personne n’ose dire ce qu’il pense. Eux n’ont pas connu cela, mais plutôt une liberté d’expression totale avec Mai 68… du coup, on s’éclate à travailler, car ils ont une liberté que nous n’avons pas… ou plus. Ce qui est inquiétant, quand on y réfléchit.
Critique
Militants un jour, militants toujours
Des militants pacifistes, qui se retrouvent, à 70 ans, bien décidés à remettre le couvert: La Preuve scientifique… pourrait verser dans le grand-guignol ou la comédie sympa-mais-pas-trop-abrasive-non-plus, type Les Vieux Fourneaux (Duthuron, 2018).
Mais Fred Baillif évite savamment ces écueils. D’abord et surtout parce ceux qui portent le film sont des comédiens amateurs. Ces authentiques militants, objecteurs de conscience dans leur jeunesse ont été à l’origine de la création du service civil en 1971. Lorsqu’Alain, le catholique aisé et André, le protestant révolté, s’opposent sur leur manière de changer la société, leurs engueulades sonnent justes ! Tout comme le décalage que ressentent ces anciens soixante-huitards face à une société qu’ils ne comprennent plus…
Autre audace, avoir misé sur Jean-Luc Bideau et Catherine Jacob pour apporter un contrepoint au collectif genevois. Leurs personnages, campés avec beaucoup de pudeur, par ces immenses comédiens, permettent d’éviter les clichés de la belle unanimité et de l’harmonie: oui, certains militants ne croient plus à leurs causes passées, et oui, bien des enfants de ces idéalistes se sont sentis laissés pour compte…
A la croisée du documentaire et de la fiction, Fred Baillif construit un cinéma, rare en Suisse, qui au-delà du simple ‘bon moment’ nous offre des situations authentiques, dans le rire comme dans les larmes…sans oublier de nous faire réfléchir. C.A.
Au cinéma
La Preuve scientifique de l’existence de Dieu (2018), comédie politique de Fred Baillif, avec Irène Jacob, Alain Simonin, Jean-Luc Bideau. En salle dès le 25 septembre. Des avant-premières sont annoncées à Château d'Œx, Carouge, Delémont, Neuchâtel, Lausanne, Bex, Oron, Morges, Vevey, Yverdon et Monthey.