Riverboom, psychanalyse protestante

Riverboom / ©Intermezzo Films
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Riverboom
©Intermezzo Films

Riverboom, psychanalyse protestante

Documentaire
Dans son documentaire, sur les écrans romands dès le 30 octobre, Claude Baechtold nous fait traverser l’Afghanistan et scrute au passage son identité protestante et vaudoise.

Road-movie décalé, incisif et drôle, Riverboom nous entraîne à Kaboul en 2002. L’armée américaine et son administration viennent de débarquer, et trois reporters embarquent pour un tour du pays sur les traces de l’exploratrice suisse Ella Maillart. On comprend, à les suivre sur ces étendues de 647'000 km2, l’immense arrogance occidentale qui pense transformer l’Afghanistan et «son PIB équivalent au chiffre d’affaires de Migros». Mais ce documentaire ciselé est aussi bourré de dangers que d’humour capable de les exorciser. Un buddy movie avec engueulades, fous rires, doutes et risques enchaînés par trois comparses, tous protestants! C’est surtout un itinéraire de reconstruction, puisque Claude Baechtold y transcende le deuil de ses parents.

L’identité protestante de vos compagnons de voyage est dûment soulignée, pourquoi?

Mes parents étaient des protestants agnostiques de gauche, féministes et pacifistes. On ne parlait jamais de religion à table, sauf pour évoquer Max Weber. Les stigmates de la Réforme m’ont vraiment sauté aux yeux quand je me suis assis sur la banquette arrière de ce taxi afghan entre Serge, prototype du calviniste genevois (le travail passe avant le plaisir), et Paolo, caricature du protestantisme capitaliste hollandais (tout est possible si tu penses positif). Pour eux, traverser un champ de mines pour démasquer les assassins d’une famille pachtoune était une chose naturelle, mais prendre un dessert après une journée de quatorze heures de travail (péché de paresse et de gourmandise!), c’était très grave.

En comparaison, vous représentez le protestant vaudois… «modéré»?

Dans cette voiture, je m’accroche à Serge et Paolo, qui foncent vers l’avenir avec confiance. Moi, je suis le Vaudois: je n’aime pas le changement et mon leitmotiv, au début du voyage, est «méfiance, méfiance, méfiance». Mais Vaud est aussi un canton qui s’est accommodé et enrichi du passage de plusieurs cultures: les Romains, les Bernois, les Français… On a su les accueillir et apprendre d’eux. Dans cette mollesse – souplesse! – vaudoise, il y a quelque chose d’intelligent.

Qu’est-ce que l’Afghanistan vous a révélé sur vous-même, votre rapport au risque?

Je viens d’un pays où tout est figé. Quand on est à ce point accroché au passé, il est difficile de dire au revoir aux morts. Comme protestant, on est responsable de sa destinée: il faut travailler, produire, on est ce que l’on fait. C’est le contraire de l’Afghanistan où Dieu est maître du destin: on ne maîtrise pas grand-chose. Ce pays a fait voler en éclats mon idée du contrôle complet. En voyage, c’est l’imprévu qui nous construit, non la carrière! L’expérience m’a aussi libéré d’une certaine lourdeur, de l’idée que tout est grave. Serge disait toujours: «Plus on est proche du danger, mieux on arrive à l’évaluer.» C’est hilarant et en même temps assez juste!

L’échec, la douleur, le doute et le chagrin sont peu pris en charge par le protestantisme

Quel protestant êtes-vous aujourd’hui?

Je suis plus armé contre l’adversité. A l’époque, je n’étais pas équipé pour affronter le deuil. L’échec, la douleur, le doute, le chagrin sont peu pris en charge par le protestantisme. En Afghanistan, j’ai découvert l’humour des soufis, cette confrérie qui veut ressentir Dieu, là où dans le protestantisme on pense que l’on va tout résoudre de manière intellectuelle. Face à la mort de mes parents (à la suite d’un accident de voiture, NDLR), j’essayais de trouver des solutions dans ma tête. Le voyage m’a permis de prendre ce deuil en charge autrement.

Infos

Riverboom, de Claude Baechtold. Dès le 30 octobre, projections avec le réalisateur en Suisse romande.

Toutes les dates sur www.riverboom.ch.

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