La fabrique de l'histoire
"De regels van Mathijs", relate l'itinéraire d'un ami d'enfance du cinéaste atteint de troubles autistiques, qu'il suit pas à pas d'un regard particulièrement tendre et complice. Marc Schmidt emploie tout son talent à nous restituer l'univers chaotique de ce personnage "différent", lui conférant même une certaine poésie. Mais Mathijs suit ses propres règles et se retrouve rapidement en conflit avec son entourage.
Bientôt l'étau se resserre autour de lui et à l'instar de l'auteur, nous assistons impuissants aux événements qui entraînent sa fin tragique. "De regels van Mathijs" n'est pas seulement un portrait touchant, "c'est aussi l'histoire d'une relation d'aide qui échoue", relève Marie-Thérèse Maeder, présidente du jury interreligieux. Notre société ne peut-elle donc ni intégrer ni laisser vivre ces personnes?
Devoir de mémoireOutre l'enquête biographique, le thème de la mémoire était particulièrement présent cette année. On questionne le souvenir des épisodes les moins glorieux du vingtième siècle comme l'holocauste, les régimes autoritaires grec, roumain, ou chinois, le siège de Leningrad. "Est-ce parce que les derniers témoins de ces événements sont sur le point de disparaître?", se demande la présidente du jury interreligieux.
En tout cas ce thème était maintes fois abordé, que ce soit à travers le récit ("A home far away", "Après le silence, ce qui n'est pas dit n'existe pas?") ou par le biais des lieux de mémoire (le ghetto de Varsovie dans "Six faces d'une brique", Makronissos, l'île-geôle des colonels grecs dans "Comme des lions de pierre à l'entrée de la nuit").
Dans ce registre, "900 Dagen" se démarque par son ironie mordante, car la réalisatrice confronte habilement discours officiel et souvenirs privés. Les célébrations de la victoire, avec leur discours pompeux et leur imagerie kitsch, contrastent singulièrement avec la parole des survivants, filmés dans leur modestes intérieurs. Ces personnes évoquent des moments moins glorieux de la "grande guerre patriotique", que Staline avait pris soin de taire. Loin de se percevoir toutes comme des héroïnes, comme le voudrait la version officielle, ces personnes cherchent encore les mots qui conviennent à leur statut.
Il y a celles qui paradent, le plastron tout bardé de médailles, celles qui raillent l'interprétation officielle, enfin celles qui se torturent de questions, 65 ans après, en se demandant pourquoi elles ont survécu. Ces fameux insignes, que le gouvernement a distribué en masse, tissent un lien symbolique entre différents moments du film, rappelant que toute médaille a son revers. Un film important dans le contexte russe actuel, où la fierté nationaliste revient en force.
Eloge de la lenteurUn autre aspect a encore frappé la présidente du jury interreligieux: celui du temps subjectif. A notre époque trépidante, il suffit qu'une caméra s'arrête quelques secondes pour qu'une séquence prenne soudain un relief particulier. Or la lenteur dont usent certains cinéastes, nous entraîne dans une méditation bienfaisante et créative, selon Marie-Thérèse Maeder.
Et c'est toute la magie de films tels que "The observers" - silencieuse observation des phénomènes météorologiques sur le Mont Washington (au N-E des USA) - ou "Comme des lions de pierre à l'entrée de la nuit" qui nous fait ressentir presque physiquement la condition des prisonniers de Makronissos.
Pour terminer, il nous faut encore évoquer un ovni venu d'Allemagne, "Die Lage", consacré à la visite du pape Benoît XVI dans son pays d'origine. Dire que Thomas Heise filme cet épisode sans complaisance est peut-être trop faible, car son film est empreint d'un humour très noir. Le cinéaste vide en effet volontairement l'événement de toute émotion, en insistant lourdement sur la machinerie protocolaire et sur les aspects les plus triviaux de la logistique. Il apporte un soin particulièrement attentif aux images, noir-blanc et d'une beauté glacée, qui nous laissent un sentiment d'inquiétante étrangeté.
Jury interreligieuxLe jury interreligieux, composé de quatre personnes appartenant à différentes confessions, est accrédité au festival Visions du réel depuis 2005. Pourquoi interreligieux et non œcuménique, comme c'est habituellement la règle? "C'est une volonté du précédent directeur du festival, Jean Perret, qui a jugé qu'un tel jury était mieux adapté à notre époque", explique le coordinateur Hans Hodel.
Les membres du jury sont nominés par les délégués suisses des associations Interfilm (protestante) et Signis (catholique). Outre leur lien avec les milieux du cinéma, ils admettent partager certaines valeurs communes aux grandes religions de l'humanité.
Ce jury était constitué cette année de:
- Roza Berger-Fiedler, cinéaste, productrice, Allemagne
- Alain le Goanvic, président Pro-Fil, France
- Marie-Thérèse Mäder, membre du groupe de recherche « médias et religion », Université de Zurich, Suisse
- Mehdi Sahebi, auteur et réalisateur, Suisse