Conques: Le trésor de deux aimantes

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Conques: Le trésor de deux aimantes

24 avril 2012
Une publication actuelle,
Conques: le trésor des deux aimantes, vient ajouter son point de vue à la connaissance du personnage biblique de Marie de Magdala à laquelle sont consacrées de nombreuses études. Elle l’inscrit dans l’histoire de l'Europe spirituelle et de ses expressions artistiques. (Légende photo: Le retournement de Marie de Magdala. Portail de Conques, XIIe siècle)

Recension par Michèle Bolli, théologienne

Cette femme, disciple de Jésus, guérie par lui, l’accompagna tout au long de sa vie jusqu’au matin de Pâques. La parole d’envoi qu’elle reçut fit d’elle une des porte-paroles de l’Evangile. Un livre étudie ce personnage en un temps qui va du XIIe au XVIIe s., dans un haut lieu du rayonnement spirituel médiéval, l’abbaye de Conques et son trésor.

Etonnant jumelage spirituel et féminin

Située dans le sud de la France, sur les chemins du pèlerinage à St-Jacques de Compostelle, cette abbaye a vu se développer au cours des siècles un jumelage étonnant entre la vénération de St Foy, jeune adolescente martyre, et celle de Marie de Magdala. Pierre Séguret (1), spécialiste de l’étude du tympan de cette abbaye romane, en analyse les représentations, les sources et les causes dans ce beau livre intitulé: Conques: le trésor des deux aimantes.

Il explore ensemble les trois aspects de ce trésor, et montre, en même temps, l’évolution de la représentation de Marie de Magdala, en ce lieu, allant de «l’art chrétien de la renaissance romane à l’art païen de la renaissance humaniste» (ch. VI).

On lira d’abord ce qui concerne le tympan, livre de pierre où se déploie un intéressant aspect de la théologie médiévale: celle du salut par le Christ, exprimé ici en une superbe gestuelle indiquant la diagonale de la grâce (Séguret). On y voit également la procession de l’église au bout de laquelle une femme est à demi retournée, Marie de Magdala. La jeune St Foy y est aussi présente, bénie par la main de Dieu. Le deuxième aspect du trésor est constitué d’un reliquaire gothique orné en vis-à-vis des portraits des deux aimantes: autel portatif, tout de dorures et de pierreries dont une des fonctions était de symboliser la lumière spirituelle.

Enfin, le troisième aspect – le trésor baroque (ch. VIII) – est formé d’un ensemble de sept tapisseries liturgiques représentant la vie de Marie-Madeleine, pendant et après celle de Jésus, en une facture du XVIIe s. Le livre richement illustré permet de visualiser cet ensemble. Notons toutefois que son commentaire n’est pas toujours exempt de stéréotypes de genre : notamment p. 115, la description de l’amour de Marie de Magdala pour Jésus: « plus charnel pour elle, plus conceptuel pour les apôtres »… A vrai dire, qu’en savons-nous?

Histoire de l’Europe et de l’expression artistique et littéraire de la spiritualité

L’auteur situe l’émergence de ces deux représentations féminines dans le contexte qui les a vu naître, celui du Pays d’Oc, des troubadours et de l’amour courtois ou « amour de loin », et de le « joy d’amor » qu’il procure. Il souligne que le passage de la connaissance de Marie de Magdala, personnage historique, à la vénération de cette « apôtre des apôtres» (2), émerge dans l’euphorie de la victoire de la première croisade qui délivra le tombeau du Christ.

Le lien symbolique entre son histoire et ce tombeau est évident. Le tympan de Conques propose une compréhension de Marie de Magdala qui vit cet « amour de loin » joyeux et confiant, à l’opposé d’autres représentations gnosticisantes ou décadentes plus fréquentes.

Elle enrichit donc le regard. Les deux représentations du tympan – femme en train de se retourner et femme debout, en marche avec les porteuses d’aromates (myrrhophores, p.17) – expriment bien l’orientation de cette théologie indiquée par la place et l’attitude des corps, des gestes et des objets/symboles, et, comme Magdala, comme l’église représentée ici : « en marche, en trans-formation, en transmutation » ainsi que l’exprime l’exergue de B. de Ventadour (3).

A quelques exceptions près, ce fut la représentation synchrétiste qui s’était développée sous le nom de Marie-Madeleine qui fut vénérée. Cependant, Conques, a partiellement maintenu Marie de Magdala. Le sculpteur du tympan ne lui fait-il pas porter le signe de la foi d’alors: la main levée, paume ouverte.

Trésor enfoui

Cette particularité fut peut-être élaborée d’abord pour se distinguer d’autres grandes abbayes du Moyen Age. Peut-être aussi, sans doute, en s’appuyant sur la tradition de l’Orient chrétien (avec lequel Conques avait des liens) qui plaçait la fin de la vie de Marie de Magdala à Ephèse, et sa fin en martyre, et non en Provence dans une grotte près de Marseille (Voragine, La légende dorée).

Ce culte se répandit largement comme en témoigne par exemple l’étude d’Isabelle Renaud-Chamska (4) et alla jusqu’à représenter Marie de Magdala en habits sacerdotaux masculins (vitrail de 1170, Klagenfurt, p.105). Ce point ne contredit pas le jumelage de Conques puisque St Foy avait accédé, elle aussi, au sacerdoce, par le martyr (p.105).

Cependant, le rayonnement de Conques déclina sans que les causes en soient totalement éclaircies (p.43) et sa théologie aussi. Le trésor fut enfoui dans les mémoires jusqu’à ce que de nouvelles études à la fois romanes, médiévistes et féministes conjuguent leurs efforts pour le remettre en lumière.

L’auteur conclut en soulignant une fois encore l’unité de l’esprit qui règne à Conques, celui de l’amour qui est présent aussi bien dans le Christ miséricordieux du tympan que chez les deux « apôtres », les deux aimantes et aimées: St Foy et Marie de Magdala.

Livres et notes

  • Conques: Le trésor des deux aimantes, Pierre Henri Julien Séguret, Tricorne, Genève, 2012.

  • Site: www.art-roman-conques.fr
Notes:

(1) Pierre Séguret, Conques. L'art l'histoire le sacré, Tricorne, Genève, 1997) et sa présentation du « tympan » sur le site de Conques. Né en Aveyron en 1923, Pierre Henri Julien Séguret est diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, licencié en droit, et ingénieur. Retraité, il a consacré les deux dernières décennies à l'étude du tympan de Conques.

(2) Sur cette amalgame de figures féminines bibliques voir également : Bernadette Neipp, Marie-Madeleine, La curieuse histoire d’un malentendu, Ed. du Moulin, Aubonne, 1991.

(3) p. 36, P. Cardenal, Les troubadours, t.II, « Le trésor poétique de l’Occitanie », DDB, 1965

(4) Isabelle Renaud-Chamska, Marie Madeleine en tous ses états. Typologie d’une figure dans les Arts et les Lettres, Cerf, Paris, 2008, Quelques remarques annexes, p.104