Assurer la cohésion

Marie-Jeanne Hautbois directrice pays en Haïti pour l’Entraide protestante suisse (EPER). / ©DR
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Marie-Jeanne Hautbois directrice pays en Haïti pour l’Entraide protestante suisse (EPER).
©DR

Assurer la cohésion

Haïti
En février, les gangs d’Haïti se sont unis, plongeant le pays dans le chaos. L’EPER y maintient une présence vitale soutenue par l’offrande du Jeûne fédéral le 15 septembre.

L’histoire haïtienne est marquée par la violence. Mais en février 2024, celle-ci a muté: les différents gangs du pays – armés par des groupes d’intérêt privés – se sont alliés contre l’Etat: aéroport fermé, établissements pénitentiaires vidés et détruits, commissariats et ministères attaqués. Résultat: sur un pays de 11 millions d’habitants, près de la moitié sont en proie à l’insécurité alimentaire, neuf personnes sur dix à la pauvreté. L’Organisation mondiale des migrations dénombrait 600'000 déplacés internes en juillet dernier, dont la moitié d’enfants, et appelait à un soutien financier accru de la part de la communauté internationale. Au même moment, une mission de soutien à la police haïtienne, composée d’un premier contingent de 200 policiers kényans (sur 1000 prévus), arrivait sur place, et un gouvernement de transition se mettait au travail, nommant un Premier ministre, Garry Conille. Si ce dernier vise de nouvelles élections pour février 2026 (les dernières ont eu lieu en 2016, les mandats sont échus depuis 2021), la situation reste très fragile.

Marie-Jeanne Hautbois, directrice pays pour l’Entraide protestante suisse (EPER) depuis 2019, gère une équipe de 40 personnes, toutes haïtiennes, dans le sud-ouest du pays. Leur mission a basculé du développement rural à l’action humanitaire. Entretien.

Quelle est la situation sécuritaire dans votre région?

La Grand’-Anse est un département enclavé et pauvre, mais qui accueille beaucoup de déplacés en familles d’accueil, ce qui pèse sur des foyers déjà décapitalisés. De plus, déplacer des enfants du monde rural vers les villes est une pratique courante. Par le passé, beaucoup des enfants de la région envoyés à Port-au-Prince (qui serait contrôlée à 80% par des gangs, NDLR) ont pu être enrôlables dans des groupes armés. Or, en raison de la fébrilité actuelle, ils sont nombreux à revenir dans leur région natale. Une forme de suspicion se développe donc: les forces de sécurité sont à cran et ont tendance à se retourner contre tout visage de jeune inhabituel. On arrête ou on pourchasse très facilement…

Qu’est-ce que cela a changé dans votre travail?

Nos activités de développement rural ont été agencées pour répondre aux urgences. Nous travaillons avec des groupements de paysans pour vendre la production locale sur les circuits le plus courts possible, organiser des travaux communautaires offrant aux familles un revenu minimal, œuvrons à l’alimentation scolaire qui contribue au maintien du fonctionnement des écoles. Les communautés dans lesquelles nous agissons sont très enclavées. Nos actions ciblent en particulier 20 villages, soit 5000 paysans, 3800 écoliers, 500 femmes cantinières, marchandes ou mareyeuses. Nous réalisons aussi beaucoup de surveillance et d’éducation autour de l’assainissement et de l’hygiène: captage d’eau, gestion des déchets, blocs sanitaires… Comme le système de santé s’est effondré, contrôler une crise épidémique sera difficile: il faut donc éviter toute résurgence du choléra (qui a fait près de 10'000 morts entre 2010 et 2019, NDLR).

L’EPER n’a pas choisi d’interrompre sa mission, malgré l’instabilité…

Nous nous adaptons, même si cela n’est pas simple. L’idée, c’est de ne pas abandonner. Notre équipe n’a jamais arrêté ses activités. Elle a un fort ancrage communautaire qu’elle maintient coûte que coûte. La crise actuelle nous amène à travailler sur la cohésion communautaire, avec des psychologues et des juristes pour éveiller la jeunesse, facilement manipulable, en grand besoin d’espaces d’expression et d’écoute.