Chrétiens du Sud-Liban: la peur de disparaître
Le long des routes sinueuses du Sud-Liban, les cris d’enfants et les klaxons se sont tus. L’intensification des affrontements entre le Hezbollah, les factions palestiniennes et l’armée israélienne a déjà tué une centaine de personnes au Liban. Elle a aussi poussé près de 30'000 Libanais à fuir leur foyer, selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Dans les villages frontaliers, comme Debel, situé à cinq kilomètres du territoire israélien, les derniers habitants manquent de tout. «On a besoin de nourriture. Mais aussi de mazout, car l’hiver arrive. Et d’eau, car il n’y en a plus dans les canalisations», alerte Maria.
Au sentiment d’être entraînés dans une guerre qui n’est pas la leur s’ajoute la colère de vivre dans un Etat inexistant. Ceux qui restent, 30 à 40% des villageois, souvent les plus démunis, ne peuvent se permettre de financer un deuxième loyer ou de quitter leurs cultures. Charbel, producteur de tabac, raconte: «Les clients n’achètent plus notre tabac, car ils ne veulent plus venir jusqu’ici. Alors, nous livrons notre récolte dans d’autres villages, mais cela nous coûte cher en essence et les routes sont dangereuses.»
«Vous ne faites rien!»
Pour la première fois depuis le début de la guerre, l’archevêque maronite de Tyr, Mgr Abdallah, est venu, fin octobre, à la rencontre des habitants de Rmeich, à deux kilomètres de la frontière. Pour l’occasion, 200 personnes environ se sont réunies dans une salle adjacente à l’église. Les plaintes ne sont cependant pas celles attendues par l’homme d’Eglise. «On vit dans un village. On a la terre et des récoltes. Ici, on n’a pas besoin de colis alimentaires», lance Elie, énervé, gérant de supermarché, à Mgr Abdallah. Les tirs d’artillerie résonnent quasiment sans discontinuer. Elie continue son monologue: «Plutôt que de fuir, nous devrions nous concentrer sur la sécurité. Vous, en tant qu’archevêque, vous avez le pouvoir de contacter le patriarche, l’armée, et de leur demander de rétablir les check-points, de garantir la protection du village. Car si les habitants de Rmeich quittent Rmeich, il n’y aura plus de chrétiens dans le sud.» Un vieil homme excédé rebondit: «L’armée ne fait rien, vous ne faites rien. Ce ne sont que les derniers habitants de ce village qui font quelque chose.»
Continuer à scolariser les enfants
Délaissés par une armée en pleine déliquescence et par un Etat failli, les hommes de Rmeich se sont organisés pour effectuer des rondes de nuit. Ils craignent que le Hezbollah lance des roquettes de leurs terres, ce qui signifierait des représailles d’Israël. Un hôpital de fortune a été aménagé grâce aux dons. Les sœurs antonines, responsables de l’école, se sont arrangées avec les écoles de la même congrégation à Beyrouth pour que les élèves puissent assister aux cours sans devoir payer les frais d’inscription le temps de la guerre.
Selon Vincent Gelot, responsable de projets pour l’ONG L’Œuvre d’Orient en Syrie et au Liban, «en 2006 (précédente guerre entre Israël et le Liban, NDLR), les chrétiens n’avaient pas quitté le sud du pays comme aujourd’hui». Pour lui, la situation est vraiment critique pour deux raisons: «Il existe beaucoup plus d’incertitudes qu’en 2006 sur la localisation des bombardements. Et la déliquescence de l’Etat rend la survie beaucoup plus précaire.»