«Nous constatons une érosion des dons»
Il y a douze mois, le nombre de demandes que le CSP enregistrait depuis le début de la crise Covid continuait à augmenter. Celui des Colis du Cœur diminuait lentement. Qu’en est-il aujourd’hui?
Nous avons ce que j’appelle «l’effet retard»: c’est-à-dire une sollicitation importante de per- sonnes qui se sont endettées. Elles ont contracté des dettes pendant la période du Covid, liées à la baisse de leur revenu. Certaines ont reçu de l’aide, mais insuffisante. Vous êtes confrontés à de grandes difficultés pour assurer le paie- ment de vos charges courantes lorsque vous touchez une indemnité inférieure de 20% à votre salaire, alors que vous êtes dans cette catégorie de revenus qui oscille entre 4000 et 6500 francs et que, comme 25% de la population genevoise, vous n’avez pas un franc d’épargne devant vous.
Les chiffres des Colis du Cœur, qui sont pour moi l’un des indicateurs de précarité, ne baissent pas, bien au contraire. Deux lectures sont possibles: l’une est liée à l’arrivée de réfugiés en provenance d’Ukraine, pour une petite partie. Mais il y a surtout un nombre élevé de personnes qui continuent à avoir besoin du soutien des Colis du Cœur parce que leur budget reste déficitaire.
Le CSP Genève est-il très touché par l’arrivée de réfugiés ukrainiens?
Nous en voyons les conséquences à travers le Vestiaire social, que nous co-gérons avec Caritas. 820 personnes ont été habillées entre le début du conflit et la fin du mois de mai, essentiellement des femmes et des enfants.
En 2021 déjà, le Vestiaire social a vu exploser le nombre de bénéficiaires, bouclant l’exercice avec 5700 bénéficiaires, soit 1000 de plus que durant l’année 2020. C’est un autre indicateur direct de la précarité dans notre canton. Nous sommes dans la situation compliquée de devoir trouver des financements privés pour acheter ce dont nous avons besoin. Même si une grande partie des affaires – habits et chaussures – que nous distribuons sont des dons qui nous sont faits en direct, ils ne permettent pas, aujourd’hui, de couvrir tous les besoins.
Si l’arrivée des réfugiés en provenance d’Ukraine nous a impacté sur le front du Vestiaire social, cela a peu été le cas sous l’angle des sollicitations liées au permis S. Il en sera autrement le jour où la Suisse le révoquera. Nous craignons qu’à ce moment-là des personnes ne veuillent pas retourner en Ukraine parce que la situation y est catastrophique et qu’elles ont absolument tout perdu dans ce conflit. Elles demanderont alors que la Suisse statue sur leur demande d’asile et de pouvoir bénéficier d’une protection de longue durée. La crise et la violence vécues par les Ukrainiens qui sont encore sur place sont telles qu’il n’y a, pour l’heure, pas de remise en cause du permis S.
Cette protection pose, cependant, beaucoup de questions dans le monde de l’asile, liées à la problématique d’équité. Ce traitement particulier qui leur est réservé, et tant mieux pour eux, devrait par extension s’appliquer aux autres réfugiés. Nous essayons de plaider leur cause en disant aux autorités: «Remettez un peu de souplesse là où vous avez mis tant de rigidité.»
Nous avons un autre sujet d’inquiétude lié à la crise en Ukraine: le risque lié à la traite des êtres humains, pas seulement dans le champ de la prostitution, mais aussi sur tout ce qui est économie domestique et exploitation de la force de travail. Depuis 2014, nous avons un service dédié au CSP. Nous avons été alertés tant par ce qui s’est dit sur les réseaux sociaux que par les médias et par l’arrivée massive de femmes et d’enfants. Avec la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et de la prostitution illégale, nous avons mené une séance d’information et de sensibilisation à l’égard des professionnels du canton.
Nous mènerons probablement une campagne d’information cet automne, parce qu’il y a un risque évident, avec des réseaux existants de personnes qui étaient proches de ces pays dits de l’Est et qui ont des intentions malveillantes. Des offres peuvent être faites à des jeunes filles ou à des gens à qui l’on promet un métier qui sera extrêmement mal rémunéré. Cela pour- rait s’apparenter à de l’usure. Cela nous inquiète beaucoup.
Une des autres conséquences de la guerre en Ukraine est la hausse des coûts, donc la baisse du pouvoir d’achat. Le ressentez-vous déjà?
C’est encore trop tôt pour le dire. Cet impact-là, comme l’effet retard dû à la crise Covid, apparaîtra de manière beaucoup plus criante l’année prochaine. Les gens, dans un premier temps, essaient de trouver toutes les solutions possibles et imaginables en allant faire leurs courses chez ceux qui offrent les prix les plus bas ou de l’autre côté de la frontière. Les épiceries Caritas sont également très fortement sollicitées, tout comme les Colis du Cœur. Les gens se plaignent peu de la hausse du prix du carburant dans notre canton parce que les distances sont suffisamment courtes pour se déplacer, par exemple à vélo, et parce que l’offre de transports publics est considérable.
Notre grosse inquiétude n’est pas liée à la crise en Ukraine, mais due à la hausse considérable des primes d’assurance maladie préannoncée pour 2023. Ces 8 à 10% d’augmentation représenteront une pression supplémentaire sur le budget des ménages qui sera difficile à supporter. Cela pourrait avoir comme effet pour un certain nombre d’entre eux de devoir faire des choix difficiles, notamment en privilégiant des franchises élevées ou en passant par des assurances qui sont bon marché, mais qui sont au tiers payant. Le gros problème est d’avoir ensuite les moyens de payer ses factures. Un certain nombre de personnes accumulent déjà des retards de paiement de factures, soit de primes d’assurance maladie, soit de médecins.
Dans quels domaines constatez-vous les conséquences de cette précarité?
Les impôts, prioritairement, et les primes d’assurance maladie. Le loyer intervient en général en dernier. C’est ce que les gens essaient de sauver le plus longtemps possible. Le canton de Genève vient de lancer, le 1er juin, le projet Domos qui vise à permettre aux personnes qui seraient en difficulté de paiement de leur loyer de pouvoir s’adresser de manière extrêmement rapide à l’Hospice général, sans que cela ne remette en cause la question de leur permis. C’est la première fois qu’un projet est axé sur la prévention, avec des moyens financiers derrière. Les gens pourront obtenir le paiement de leur loyer sans contrepartie. Ce projet, qui a mobilisé le politique, l’Asloca (Associations de locataires) et les représentants des milieux immobiliers, est né du constat que la perte de logement est le début d’un engrenage.
Il y a un an, vous craigniez que des gens n’arrivent plus à payer leur loyer et se retrouvent à la rue. Est-ce arrivé?
Oui, nous avons reçu dans les dispositifs d’accueil d’urgence des gens qui ont perdu leur logement faute de pouvoir payer leur loyer. C’est l’une des raisons qui ont conduit à cette forte mobilisation pour le projet Domos.
Ces deux dernières années, le CPS avait touché des subventions de privés et du canton pour répondre à l’afflux de demandes liées au Covid. Vous aviez également pu compter sur le soutien de vos donateurs. Est-ce toujours le cas?
Nous constatons, sur l’appel financier de mars, une érosion des dons probablement liée aux nombreux appels qui ont été faits par différentes organisations à la suite de la crise en Ukraine. Les gens ont été d’une générosité incroyable. Cela nous a probablement un peu impacté.