«Cette pression peut générer de l’anxiété chez l’enfant»

Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève. / ©DR
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Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève.
©DR

«Cette pression peut générer de l’anxiété chez l’enfant»

Pression et performance
Les exigences sont élevées dès le plus jeune âge, avant tout à l’école, mais également lors de leurs autres activités. Au risque de les stresser et de générer des conflits familiaux.

Est-ce que l’on attend des enfants qu’ils soient de plus en plus performants?

Cela dépend de la manière dont on définit ce qu’est la performance. Elle est souvent liée au concept de quantitatif, c’est-à-dire à des indicateurs mesurables qui permettent de s’assurer qu’une compétence a été acquise. Si l’on prend l’apprentissage de la lecture, il s’agit de mesurer la performance des enfants en vérifiant par exemple qu’ils sont capables de décoder tant de mots par minute à un âge donné. C’est une performance absolue. Mais cet indicateur peut aussi être pris comme un sujet de motivation pour que la performance observée soit chaque fois la meilleure par rapport aux autres. C’est une performance relative.

Cette exigence de haute performance relative est-elle universelle?

La Suisse a moins le culte de la performance scolaire que la France, par exemple. Il y a moins de pression sociale autour de la réussite scolaire parce que la société est moins crispée, avec moins de chômage et de tensions sociales. La réussite scolaire n’est donc pas l’alpha et l’oméga d’un parcours.

Les pays avec les meilleures performances scolaires sont les pays asiatiques – la Corée du Sud, Singapour, etc. – et les pays nordiques. Mais ils ont deux façons très différentes d’y parvenir. Les pays asiatiques misent sur la performance relative: toujours exceller et travailler beaucoup en dehors de l’école, alors que les pays nordiques ont renoncé aux notes et sont davantage soucieux du bien-être. C’est donc avant tout un choix de société.

Et la Suisse?

Nous sommes dans une situation intermédiaire entre ces deux pôles. La pression sociale est significative, mais reste raisonnable. Une des choses qui ont changé ces vingt dernières années est qu’il y a des classements pour tout. En France, les collèges et les lycées sont comparés. Le Figaro a même classé les meilleures écoles maternelles de Paris! Ces classements sont visibles et connus de tous. Tout circule aussi sur les réseaux sociaux: tout le monde est beaucoup plus connecté et au courant, ce qui contribue à cette pression. Avant l’avènement de la société numérique, la comparaison de la performance était moins tangible et très locale avec des parents qui se rencontraient et discutaient.

Les parents sont donc mis sous pression par ces comparatifs?

De fait, quand je suis parent, je lis ces informations et cela me met une pression pour que mes enfants étudient dans les endroits bien classés. En Suisse, on est encore assez protégés parce que le système public fonctionne bien et de manière assez homogène.

Comment les enfants vivent-ils le fait que notre société valorise la réussite?

Les enfants ont une connaissance de cette pression scolaire, sportive, musicale… qui concerne toutes leurs activités en fait. Parfois, les parents veulent qu’ils réussissent par procuration; c’est notamment courant dans le sport, où tout est comme à l’école, mais exacerbé. S’ils veulent faire plaisir à leurs parents et répondre à leurs attentes élevées, il faut que les enfants performent. Vont-ils l’accepter, et jusqu’où? Certains supportent cette pression, d’autres la rationalisent et s’y plient parce que cela correspond à leur personnalité; d’autres la rejettent ou en souffrent parce qu’elle est trop forte pour eux. En général, c’est toujours plus compliqué vers l’adolescence parce que les jeunes sont capables de résister et d’exprimer leurs préférences.

Quelles seront les conséquences?

Cela dépend si les parents acceptent cette remise en cause. L’environnement social et ce qu’il véhicule va moduler le degré de pression et de comparaison. En fonction du modèle familial – si l’on négocie ou pas, si l’on est flexible ou pas –, il y aura des conflits plus ou moins forts. Cela dépend de la personnalité de l’enfant, qui est singulière et va se construire au fur et à mesure de son développement. Cette pression peut générer de l’anxiété. Comment l’enfant va-t-il la réguler pour qu’elle ne péjore pas ses examens? On sait qu’un peu d’anxiété, de stress mobilise de façon à réussir. Mais si l’on dépasse une certaine dose, on perd ses moyens.

Conseil de lecture

Comment les émotions viennent aux enfants?, Edouard Gentaz, Nathan, Paris, 2023.