Pourquoi une étude sur les abus chez les réformés suisses?

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Pourquoi une étude sur les abus chez les réformés suisses?

Prise de conscience
Lors du Synode de juin à Neuchâtel, les responsables de l’Eglise évangélique réformée de Suisse soumettront à l’assemblée un projet d’enquête en population générale sur les abus. Une évolution notable.

1,6 million de francs: c’est le budget que le Conseil de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) demandera au Synode (organe délibérant), les 9, 10 et 11 juin prochains, pour mieux comprendre les abus sexuels. Ce montant est destiné à deux mandats: une étude représentative en population générale et une étude participative. Trois objectifs sont fixés: quantitatif d’abord, pour comprendre l’étendue du problème (20'000 personnes seront interrogées pour obtenir une estimation fiable de la prévalence des abus dans toutes les sphères de la société [école, domicile, secteur associatif…] et non seulement dans le milieu ecclésial); qualitatif ensuite, pour cerner la forme et l’intensité de ces actes, ce qui les rend possibles, leurs impacts pour les victimes et la société; enfin, un objectif de témoignage et de libération de la parole, puisque les personnes concernées pourront, si elles le souhaitent, rapporter leurs expériences, s’exprimer sur ces sujets.

Rien n’oblige l’institution à produire une enquête au-delà de sa propre sphère – or une enquête en population générale sera utile pour comprendre les abus dans tous les milieux sociétaux. C’est d’ailleurs le choix qu’avait fait la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique en France (Ciase), un travail de référence aujourd’hui en Europe. Le groupe Sapec, qui, en Suisse romande, soutient les personnes abusées dans un contexte religieux, avait d’ailleurs soutenu un tel projet d’enquête en population générale sur les abus sexuels en Suisse, porté par le chercheur de l’Université de Lausanne Josselin Tricou – ancien enquêteur pour la Ciase.

Déclic allemand

Alors que l’idée était dans toutes les têtes, Réformés interrogeait l’EERS en octobre dernier sur la nécessité de participer à un tel projet et de le cofinancer avec l’Eglise catholique. L’institution expliquait alors «ne pas être au courant d’un tel projet» et «ne pas avoir d’indice d’abus en son sein». Comment expliquer son évolution aujourd’hui? L’étude sur les abus sexuels réalisée côté catholique a incité l’EERS à se pencher sur le thème. Et c’est une enquête dans l’Eglise protestante allemande qui a provoqué le déclic. «Elle nous a fait prendre conscience des mécanismes ecclésiastiques et des liens systémiques favorisant les abus. Les abus ne se produisent pas seulement dans les Eglises aux structures ‹officielles et hiérarchiques›, mais aussi dans les Eglises participatives et démocratiques avec une hiérarchie plate et une morale sexuelle progressiste», explique Stephan Jütte, chargé de l’éthique et de la communication pour l’EERS.

Eviter les retraumatisations

«Jusqu’à récemment, nous n’avions pas perçu le potentiel spécifiquement réformé. Et de manière générale, l’abus sexuel a longtemps été un sujet sous-estimé. Ces dernières années, on a pris conscience que les abus sexuels ne concernent pas seulement le domaine traité par des procédures pénales», explique le responsable. L’EERS souhaite confier sa recherche au Centre pour la religion, l’économie et la politique de l’Université de Lucerne, «qui remplit de manière optimale les conditions requises: éviter autant que possible les retraumatisations dues à l’enquête, protéger les données de manière optimale, mener les enquêtes de la manière la plus compréhensible possible, bénéficier d’un savoir-faire en sociologie des religions et d’une expérience dans la recherche empirique sur les religions». Les résultats sont attendus en 2027.

La démarche est saluée par le groupe Sapec, qui déplore cependant qu’il n’y ait pas eu de mise au concours pour la réalisation de ce travail et estime qu’une démarche conjointe avec l’Eglise catholique aurait du sens. «Cela a été examiné mais n’a pas été possible pour des raisons organisationnelles», précise l’EERS.