Former les imams « à respecter les règles du jeu »
Une dizaine de personnes ont déjà manifesté leur intérêt pour participer à la formation de l’Université de Genève, financée par l’Etat. Aux côtés des imams en exercice, issus « de différents courants de l’islam, communautés bien établies ou plus minoritaires », on trouve aussi des enseignantes religieuses, « jouant un rôle important pour la formation des filles », explique le professeur François Dermange, à la tête de cet enseignement.
Contenu inchangé
Ce Certificat d’études avancées (CAS) d’une année – soit un millier d’heures de travail par participant•e – se solde par une réflexion personnelle de 30 pages, défendue à l’oral. Le cours a été interrompu deux ans, «faute de participants» : «la demande locale ne rend pas sa tenue nécessaire chaque année», précise François Dermange. Contrairement aux éditions précédentes, le volet linguistique a été pris en charge par l’Etat cette année, et tous les participants mis à niveau au préalable. Mais le contenu des enseignements reste quasi inchangé: un volet historique, juridique, politique, pour comprendre « les rapports entre l’Etat laïque et les religions », préciser « l’espace à l’intérieur duquel la diversité religieuse peut librement s’exprimer ». Des approches académiques sur les théologies de l’islam, leur diversité selon les époques et les cultures. Et des contenus éthiques et interreligieux, «pour savoir comment faire entendre ses convictions dans un contexte pluraliste», détaille François Dermange. Soit «comprendre et respecter les règles du jeu».
Que faire des convictions problématiques?
C’est cette perspective qui a été présentée au printemps dernier, lors d’un colloque à l’Université de Genève sur les formations d’imams. Apprendre aux participants à reformuler leurs convictions religieuses avec des arguments éthiques et juridiques n’oblige pas à les interroger sur le fond. De quoi accorder un «blanc-seing aux fondamentalistes», estimait Philippe Gonzalez. Enseignant-chercheur à l’Université de Lausanne, il se charge, côté vaudois, de la mise en œuvre d’une formation intitulée «Communautés religieuses, pluralisme et enjeux de société», qui réunit des acteur·rices de toutes religions (christianisme, judaïsme, islam, etc.). «Dans cette approche-là, les personnes confrontent leurs différences de manière fructueuse. Elles nouent un dialogue qui les conduit à réimaginer et reconstruire leurs valeurs», pointe Philippe Gonzalez. Aucune des deux formations universitaires ne prétend transformer l’islam, «cela ne peut venir que des musulmans. Par contre, l’Université rappelle le cadre et donne des outils critiques pour penser par soi-même», rappelle François Dermange. Côté vaudois, la démarche va un peu plus loin. «On assume d’interroger critiquement chaque tradition religieuse, l’islam comme les autres», explique le professeur de théologie Pierre Gisel, autre responsable de la formation vaudoise.
Contextes cantonaux
Des nuances qui s’expliquent par la compréhension du religieux propre à chaque canton. Si Genève privilégie une séparation stricte de l’Etat et des communautés, Vaud propose à certaines d’entre elles une reconnaissance qui leur donne accès à des ressources matérielles, en échange de la participation à des tâches de service public spirituel (aumônerie hospitalière, carcérale, sociale…). Ce faisant, les acteur·rices religieu•ses concerné•es «doivent basculer d’une posture communautarienne à une position multitudiniste», poursuit Pierre Gisel. Autrement dit, s’ouvrir à tous, donc apprendre à porter et incarner des valeurs fondamentales telles que définies par la Constitution, collaborer avec d’autres confessions, et non se contenter d’énoncer leurs convictions conformément au cadre légal.