Bastienne Joerchel, du social à l’écologie
Ce lundi après-midi, Bastienne Joerchel a accepté une urgence, ouvert son bureau à une bénéficiaire âgée en difficulté, qui – cela arrive – n’a pas de téléphone portable. «Cela rajoute de la complexité. Sans smartphone, toutes les démarches se compliquent», déplore la directrice du CSP Vaud, très préoccupée par l’accès universel aux droits et l’illectronisme (manque de compétences numériques). Des causes sociales parfois peu porteuses, que Bastienne Joerchel défend depuis des années sur le plan professionnel.
Côté privé, l’écologie, l’environnement ont toujours été «une préoccupation, avec beaucoup de questionnements sur la manière d’agir dans un monde consumériste». A la maison, «on avait une vie portée par les voyages, la consommation… On n’est pas vraiment dans un modèle de famille en retrait à la campagne», reconnaît cette maman de trois jeunes hommes (20, 24 et 25 ans), dont un connu sur le réseau social Instragram sous le nom d’@uncle.maximilien. A Renens, cette famille de mélomanes cultive un vrai sens de l’accueil et de la fête, ouvrant ses portes notamment les vendredis soir pour des concerts privés réputés hauts en couleur.
Et puis il y a eu des déclics, «progressifs». «Nous allons très régulièrement à Saas-Fee, où l’on peut observer de près ce qui se passe avec nos glaciers. L’Allalin a presque disparu. Tellement impressionnant!» Un jour, en regardant une photo de la Terre, Bastienne Joerchel prend conscience que «c’est la seule planète bleue, dotée de vie, de couleurs, à des milliards de kilomètres à la ronde». A cela s’ajoute «une lecture attentive du rapport du GIEC, terriblement accablant. L’avez-vous lu?» lance-t-elle. Elle est comme ça, Bastienne Joerchel, directe, forte de ses convictions. «Elle a un enthousiasme contagieux, elle vous embarque – mais toujours sur des argumentaires solides», témoigne Patricia Dubois, qui l’a connue lorsque toutes deux dirigeaient la Fédération vaudoise de coopération, et devaient convaincre différents responsables étatiques de financer des projets de développement.
Alors, quand autour d’un café, Irène Wettstein, l’avocate de militants climatiques lausannois, lui demande de mettre son image estampillée «sociale» à l’affiche d’une marche féministe et écologique (voir encadré), Bastienne Joerchel dit oui tout de suite, et ouvre son carnet d’adresses. «Notre pays est en retard, il manque un signal politique fort et mobilisateur. On n’a toujours pas de plan climat généralisé!» Elle aime aussi le fait que les marcheuses soient des femmes avec des engagements publics. «Les personnes qui ont du pouvoir doivent prendre leurs responsabilités.» Et elle estime qu’au final la question du climat «est éminemment sociale».
Justement, au CSP, comment écologie et social sont-ils conciliés? Petit temps. «C’est compliqué», reconnaît la dirigeante. Avant de reprendre: «Les personnes qui viennent ici, ce n’est pas tellement pour regarder ce qu’ils mangent… Mais savoir s’ils vont avoir à manger! Leurs priorités sont ailleurs!» Elle se réjouit que la question sociale soit abordée de manière «transversale» par la Marche bleue. Et explique avoir elle-même changé d’avis sur certains sujets. «La gratuité des transports publics, par exemple. Pendant longtemps, je n’y étais pas favorable, car tout a un prix. Mais les enjeux sont si urgents! Et une taxe CO2 ne pénalisera pas les gros pollueurs, mais davantage les personnes proches de la précarité.»
Bastienne Joerchel n’est pas dogmatique. «C’est quelqu’un qui promeut le changement quand les objectifs et la mission sont solides et correspondent à ses valeurs», observe Danièle Golay Schilter, qui a collaboré avec Bastienne Joerchel lorsque celle-ci dirigeait la section Lausanne et région de l’association Lire et Ecrire. Pour le revenu minimal, même évolution: «Notre dispositif d’aides sociales requiert du temps, des ressources, un travail administratif énorme… Et passe souvent à côté de ses cibles, tant les critères sont exigeants. Personne n’est content d’être à l’aide sociale. Si on pouvait donner de la dignité, retirer ce statut de ‹demandeur›, notre énergie pourrait être investie ailleurs.»
En attendant que notre société «redirige» ses énergies, Bastienne Joerchel continue, elle, à investir la sienne: au Conseil de fondation de Swissaid, elle approfondit son expertise sur l’aide au développement en Afrique ou en Amérique latine… Et questionne aussi ce fonctionnement «néocolonial». L’arme de développement massive à ses yeux? «L’éducation.» Ailleurs comme ici.
Bio express
1989 Licence en relations internationales (IHEID).
1990 Master of Law and Diplomacy à Boston/Etats-Unis (Fletcher University).
1995 -2016 Membre du comité de la Fédération vaudoise de coopération (présidente de 2000 à 2005).
2008 Directrice de l’association Lire et Ecrire, section Lausanne et région.
2016 Directrice du Centre social protestant Vaud.
2019 Coprésidente du Conseil de fondation de Swissaid (entrée au comité en 2012)
Marche bleue
Lancée par l’avocate Irène Wettstein, l’infectiologue Valérie d’Acremont, l’économiste Julia Steinberger, et Bastienne Joerchel, la Marche bleue, ouverte à tous, reliera Genève à Berne entre le 1er et le 22 avril et sera ponctuée d’une série d’événements.
«On n’atteint pas des objectifs urgents sans cadre légal et politique clair. Cette marche est apartisane, mais politique. Le message, c’est de dire que les politiques doivent prendre leurs responsabilités face aux enjeux énormes et aux intérêts forcément divergents, qu’il faut savoir dépasser, car le bien commun y est supérieur», estime Bastienne Joerchel.