Vin en biodynamie, un usage pragmatique de la spiritualité
Comment est né votre projet de recherche?
Je me suis aperçu que les recherches portant sur les liens entre religion et écologie avaient négligé les métiers de la terre et s’intéressaient principalement aux discours et pratiques d’une élite urbaine proche des Eglises. C’est ce qui m’a poussé en 2017 à m’intéresser aux professionnels qui prennent soin du vivant au quotidien. Cette année-là, nous étions en pleine préparation de la Fête des vignerons, alors le thème s’est resserré assez naturellement sur cette population émergeante de vignerons en agriculture biologique et biodynamique.
Et comment avez-vous procédé?
Je suis anthropologue, mon boulot est d’aller voir directement les intéressés, d’observer et d’écouter ce qu’ils ont à dire. J’ai donc commencé par rencontrer des vignerons labellisés Demeter. Ensuite, je me suis intéressé à ceux qui expérimentaient avec des approches alternatives et holistiques – en dehors de la certification de Demeter. J’ai rencontré notamment des personnes influencées par la diversité du paysage religieux actuel (néo-chamanisme, néo-orientalisme, thérapies alternatives, etc.)
Il y a donc une certaine diversité d’approches…
Les vignerons sont des gens pragmatiques. Ils mettent un sens large au mot «spirituel». Ils prennent une tisane de valériane quand ils ont pris froid, et trouvent assez normal de soigner leur vigne avec de telles décoctions. Trouver un équilibre entre les racines de la plante, vecteurs d’une énergie de la terre, et les feuilles qui s’ouvrent vers une énergie cosmique, cela fait sens pour eux. En revanche, ils se méfient de ceux qui seraient trop dogmatiques. En fait, je pourrais dire que la plupart des vignerons que j’ai rencontrés se montrent aussi distanciés et critiques vis-à-vis du Goetheanum, que des Eglises ou des écoles de viticulture. Ceux qui y travaillent sont souvent perçus comme des «intellectuels», entendez par là qu’ils ne produisent pas grand-chose, mais prescrivent beaucoup. Parfois, moi-même j’entrais dans cette catégorie et devais négocier mon statut d’universitaire.
La majorité n’applique donc pas de façon rigoriste la biodynamie?
Ils envisagent cette pratique surtout dans une certaine vision de respect de la nature, agrémentée d’un peu de sens commun. Ils font un usage assez ludique des lignes de conduite: ils vont par exemple se servir du calendrier astrologique pour fixer leurs jours de congé. Autrement, si ce dernier prescrit de tailler un jour de pluie, ils vont évidemment déroger! La plupart n’ont pas lu Rudolf Steiner. Il faut dire qu’à moins d’être habitué aux écrits ésotériques ses livres sont difficiles d’accès. Par ailleurs, les vignerons n’étaient pas le public cible de cette agriculture alternative, qui à l’origine perçoit le domaine agricole comme un «organisme vivant» de plusieurs centaines d’hectares et en polyculture. Qui plus est, dans l’anthroposophie, la consommation d’alcool n’est pas encouragée. La morphologie des vignobles suisses et l’amour du vin font des vignerons un public «à part» pour le milieu restreint de la biodynamie.
La thèse en bref
Intitulé: «Quand les pensées écologiques sont mises en bouteilles».
Défense: Cet hiver.
Directrice de thèse: Irene Becci
Parcours: «Pur produit de faculté de théologie et de sciences des religions de l’UNIL», comme il se définit lui-même, Alexandre a pris goût au travail de terrain lors de son mémoire de Master en Sciences des religions consacré aux pèlerins de Lourdes et à la dévotion mariale.
Vocabulaire
L’anthroposophie est basée sur l’idée qu’il existe un monde spirituel que la pensée pure peut comprendre, mais qui n’est pas accessible aux sens. Elle a été théorisée par Rudolf Steiner (1861-1925). Situé près de Bâle, le siège de la Société anthroposophique universelle porte le nom de Goetheanum. L’anthroposophie se décline dans plusieurs pratiques telles que la médecine ou la pédagogie. La biodynamie en est la déclinaison agricole. Le label Demeter en est la principale marque de certification.