Où sont les pasteurs de demain ? Les Facultés de théologie accusées de saper des vocations

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Où sont les pasteurs de demain ? Les Facultés de théologie accusées de saper des vocations

23 mars 2001
« Il n’y a que peu de place pour la foi personnelle à la Faculté de théologie
» « Le discours académique sur Dieu est très cérébral et plutôt desséchant». « On fait tout pour nous décourager ! » La critique est vive parmi les étudiants à Neuchâtel, Lausanne et Genève. Les Hautes Etudes saperaient-elles les vocations en chute libre depuis dix ans et mises à rude épreuve par la crise d’identité des pasteurs ? Analyse du malaise.

« En m’inscrivant à la Faculté de théologie à Genève, j’espérais nourrir ma foi, témoigne, écoeuré, Claude Mermod, enseignant, je dois dire qu’elle a plutôt été ébranlée par l’enseignement donné et par la déconstruction systématique qu’on nous y a enseignée. » « Le discours sur Dieu qu’on nous tient à l’université est très intellectuel et desséchant alorsqu'il devrait être enraciné dans une pratique personnelle et communautaire, modulable selon les besoins de chacun, estime Karin Phildius, pasteure à La Chaux-de-Fonds, qui a mis 10 ans à se décider à achever ses études et à demander sa consécration. Inscrite en théologie par fidélité au milieu missionnaire dans lequel elle avait grandi, elle a souffert pendant ses études d’un manque d’accompagnement spirituel et de l’absence de repères. « Mes motivations n’étaient pas claires, analyse-t-elle, je ne savais pas si je voulais devenir pasteure, j’enviais les séminaristes catholiques qui faisaient leurs études dans un cadre communautaire et qui pouvaient s’y ressourcer. » Il a fallu à Karin Phildius le cadre d’une communauté catholique qu’elle a rejointe à Marseille pendant un an, pour clarifier ses convictions et s’engager dans le pastorat.

§La foi exclue de l'Université Jean-Marc Savary, pasteur stagiaire à Romainmôtier, déplore la dichotomie voulue entre le contenu de la théologie enseignée et l’objet de cette théologie, c’est-à-dire Dieu. « La Faculté de théologie a opté pour une solution de facilité en choisissant de s’en tenir à une théologie reconnue académiquement sans maintenir des passerelles vers le Dieu de la foi. »

§Vieille rengaineLe malaise des étudiants en théologie est-il nouveau ? Pierre Gisel, professeur de théologie à Lausanne, estime que les reproches ne datent pas d’hier et sont réactualisés par des volées d’étudiants qu’il estime plutôt conservateurs, peu critiques et parfois de tendance évangélique affirmée.

Klauspeter Blaser, professeur de théologie systématique et pratique, ne se laisse pas non plus impressionner par cette « vieille rengaine » qu’il tient toutefois à prendre au sérieux. Le professeur lausannois rappelle que l’Université n’est pas une école professionnelle ni une école de la foi, et que la déstabilisation face à l’absence d’encadrement est la même pour les étudiants en biologie ou en physique ou dans n’importe quelle autre faculté.

§Tenir le chocPierre Glardon, responsable vaudois de la formation aux ministère des pasteurs et diacres, directeur du séminaire de théologie appliquée, prend très au sérieux le désarroi des étudiants qui ont choisi de s’inscrire en Faculté de théologie afin de répondre à un questionnement spirituel personnel et qui n’y trouvent pas un accompagnement adéquat ni des réponses à leur quête existentielle. «Cela est d’autant plus difficile à accepter pour ceux qui sont venus avec un projet de ministère fortement ancré, poursuit Pierre Glardon, car leur vision de la spiritualité, parfois un peu naïve, ne leur permet pas de tenir le choc d’une remise en question intellectuelle de leurs certitudes croyantes ».

§Le doute constructeur« Construire sa foi passe par des périodes de doute, des crises, des remises en question, analyse Klauspeter Blaser, la critique des textes, l’étude de l’histoire du christianisme peuvent ébranler un étudiant, qui doit pouvoir se remettre en question, faire évoluer sa foi, se laisser transformer. On se trompe sur la nature même de la foi si l’on pense qu’elle est l’adhésion à un ensemble de croyances qu’on tient pour vrai. La foi telle que je la comprends, poursuit Klaus-Peter Blaser, est la confiance en ce que Dieu fait de nous, ce qu’on appelle la justification par la foi. »

§Pasteurs en criseLe malaise des étudiants est aggravé par la grave crise d’identité que traversent les pasteurs, qui doivent trouver leurs marques dans une société laïcisée et fortement déchristianisée. Le métier ne fait plus recette et on constate depuis dix ans une baisse alarmante de la courbe des vocations. Les facultés de théologie ne semblent pas s’en émouvoir.

« Elles se préoccupent de moins en moins de former des pasteurs, constate Pierre Glardon, elles n’offrent plus aux futurs pasteurs une formation exhaustive, notamment dans les domaines de la psychologie, de la pédagogie, de la sociologie, de la liturgie et de la spiritualité, composantes de la relation et du développement de la personne. Il manque aux étudiants des outils intellectuels qui puissent les aider dans l’accomplissement de leur tâche ».

§Transmission des valeursPierre Glardon fait remarquer que dans une société qui ne fonctionne plus sur la transmission des valeurs et des croyances, l’enseignement des facultés de théologie ne suffit plus. L’évolution actuelle de la société nécessite l’apprentissage de nouvelles dimensions de témoignage évangélique et biblique. « Ou bien les facultés intègrent ces nouvelles dimensions, en créant des chaires supplémentaires, estime-il, mais elles ne disposent pas des crédits nécessaires pour le faire, ou bien les Eglises prennent en charge l’enseignement que les Facultés ne peuvent plus fournir. »

§Vers une seule faculté romande? Le responsable de la formations des pasteurs vaudois voit dans la crise qui se profile et le manque d’étudiants qui se destinent au ministère, une chance pour induire des changements. « Il faudra bien un jour que les Facultés se préoccupent de ce qui se passe après leur enseignement académique. Il est illusoire de penser qu’on va pouvoir conserver quatre facultés universitaires, (avec la Faculté de théologie de Fribourg) en Suisse romande dans les décennies à venir ! »

Jean-Marc Savary ne rend pas la Faculté seule responsable du manque d’encadrement des étudiants qui se destinent au ministère. Il estime que l’Eglise ne se donne pas les moyens d’accompagner les étudiants dans leur cheminement spirituel et dans le discernement de leur vocation. « Je me fais du souci pour les jeunes étudiants que je connais, je crains que la solitude dans laquelle ls cheminent ne les amène droit dans le mur ! »

Pour Pierre Glardon, il est urgent de revoir la formation des futurs ministres, de développer une palette d'enseignements plus large et d'assurer un meilleur accompagnement des étudiants durant leurs études (mise en place de mentors ou accompagnement par les aumôneries). "Ce que l'Eglise ne réalise pas, ajoute le responsable de la formation des pasteurs vaudois, c'est qu'elle tient le couteau par le manche. Elle peut parfaitement n'exiger qu'une demi-licence en théologie et la faire compléter par une formation interne, ou par des certificats dans d'autres facultés".

Enfin, des lieux de discussion et d’échanges devraient être institués pour proposer aux étudiants des repères de vie, un appui quand leurs certitudes volent en éclats, un cheminement de vie, celui même qu’ils seront appelés à offrir à leurs paroissiens, dans l’exercice de leur futur ministère.