Wajda consacre un biopic au leader de Solidarność
, Gdansk
Dès le premier jour de grève, un électricien inconnu, licencié quatre ans plus tôt pour activités subversives, escalada cette même grille pour prendre la parole et la tête du mouvement. Lech Wałęsa allait devenir en quelques mois une icône de la résistance.
Mais si toutes ces personnes sont réunies aujourd'hui, c'est pour le tournage du prochain film d'Andrzej Wajda, consacré au leader du syndicat Solidarność. Comme autrefois, la grille est couverte de fleurs. L'aspect du fameux portail, où se pressaient les familles des grévistes pour s'informer du cours des événements, a été reconstitué aussi fidèlement que possible. Au milieu des drapeaux et des images pieuses, s'affiche bien en vue, un grand portrait de Jean-Paul II.
N'ayez pas peur!La personnalité de ce pape n'est pas spécialement associée à la rébellion ni aux réformes et pourtant… L'élection de Jean-Paul II en 1978 et sa visite en Pologne l'année suivante ont pesé d'un grand poids. "Car les Polonais ont alors pris conscience de leur nombre et de leur force", explique Danuta Kobzdej, présidente du Centre de fondation Solidarność. Par ses paroles - "n'ayez pas peur", "je suis avec vous de tout mon cœur et de toute mon âme" - le pape a insufflé beaucoup de courage à ses compatriotes. "L'Eglise a joué un rôle fédérateur important", relève encore l'historienne, "car elle a permis à divers mouvements de résistance de se rencontrer et d'unir leurs forces".
"La situation des Polonais n'était guère connue à l'étranger", rappelle Danuta, "on voyait tous ces pays de l'Est comme un même bloc confus, sous influence de l'Union soviétique". Grâce aux journalistes présents, grâce à l'effort solidaire de tous ces groupes - ouvriers, intellectuels, étudiants - le monde a enfin appris ce qui se passait. Dix millions de personnes ont rejoint le mouvement Solidarność en quelques mois, soit plus du tiers de la population active polonaise.
Un collègue de Danuta frappe à sa porte, nous adresse un salut timide et disparaît presque aussitôt. Il s'agit de Jerzy Borowczak, membre fondateur de Solidarność. Il faisait partie de la poignée d'ouvriers qui ont déclenché la grève de 80 et il a inspiré certains traits de "L'homme de fer" - autre film d'Andrzej Wajda consacré à la fameuse grève, récompensé d'une palme d'or en 1981. "Un homme très modeste, actif en politique, qui aide beaucoup de gens", nous décrit la présidente. "Il a su rester simple, ce qui est bien, car souvent les gens changent…", ajoute-t-elle songeuse.
Elle n'en dira pas plus et se retranche derrière sa fonction de pédagogue et d'historienne, attachée à la transmission de cette histoire. Mais c'est un fait notoire que les effectifs du syndicat ont fondu et que beaucoup de Polonais ont pris leurs distances, à commencer par Lech Wałęsa. On reproche à Solidarność de s'être trop compromis avec le pouvoir et d'avoir rompu avec les idéaux du début. Ironie de l'histoire, l'économie de marché qu'il a contribué à instaurer, a fini par avoir raison du chantier naval, dont la plupart des 17'000 employés, sont restés sur le carreau.
Quant à Lech Wałęsa, il n'a pas laissé un souvenir impérissable en tant que président. Non réélu en 1995, il a retenté sa chance cinq ans plus tard avec encore moins de succès. Depuis 2009, il a dû faire face à maintes attaques de la part d'historiens, l'accusant d'avoir appartenu à la police secrète (SB) durant les années 70. Des soupçons dont il n'a jamais été complètement lavé, d'autant moins que certains documents ont disparu précisément durant sa période de présidence.
Et voilà qu'au printemps 2012, son épouse et mère de ses huit enfants, publie un brûlot intitulé "Rêves et secrets". Un titre qui évoque les romans à l'eau de rose, mais qui raconte sa vie, pas toujours simple, dans l'ombre du héros de la nation. Cet ouvrage, dans lequel beaucoup de Polonaises se sont reconnues, est devenu rapidement un succès de librairie, qui a détrôné la biographie de Jean-Paul II dans les records de vente.
Pour Jacek Sygnarski, président du conseil de la fondation Archivum Helveto-Polonicum à Fribourg, l’actuel syndicat Solidarność et le mouvement né en 1980, "n’ont plus rien en commun que leur nom". Le bibliothécaire scientifique gère l’un des fonds les plus importants sur Solidarność et s’est engagé dans le mouvement dès le début.
Il reconnaît que la personnalité de Wałęsa peut irriter par son côté autocrate et son goût de la gloriole, mais il estime qu’il est injustement calomnié. Certains ennemis politiques ont peut-être intérêt à ternir sa réputation, "mais on ne peut en aucun cas lui enlever son bilan", insiste-t-il. Comme Wajda, il pense que l’ancien leader est d’abord "celui qui a permis aux Polonais de sortir vivants de cette oppression, alors que ce n’était pas évident".
Le film de Wajda très attenduBeaucoup se demandent comment le cinéaste va traiter le sujet dans son prochain film, dont la sortie est prévue pour l'automne 2012. Présent avec sa caméra dans les chantiers navals lors des événements de 80-81, Wajda s'est rallié tôt au mouvement Solidarność. C'est le dernier d'une longue série de films qu'il a consacrés à l'histoire polonaise, mais "ce sera le plus difficile de ma carrière", a-t-il confié à la presse.
Le cinéaste a déjà annoncé que ce long métrage ne traiterait pas de la carrière politique de Wałęsa, mais s’arrêtera en 1989. Dans deux autres films évoquant la Pologne communiste - "L'homme de marbre" en 1976 et "L'homme de fer" en 1981, où Wałęsa joue son propre rôle - Wajda met en scène des figures de résistants, qui réécrivent l'histoire au présent, en dénonçant les manipulations du régime. Ce biopic va lui poser d'autres défis, car le pouvoir a changé de camp depuis. Mais l'histoire reste à écrire.