Ciné-club: Fragile septième art

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Ciné-club: Fragile septième art

Anne-Sylvie Mariéthoz
11 mars 2013
Claude Goretta, Jean Mohr et Alain Tanner
(photo) l’ont fondé et le ciné-club universitaire de Genève (CCUG) a suscité bien d’autres vocations depuis. En soixante ans, il s’est constitué un public fidèle, auquel il propose toujours une programmation régulière et de haut vol. Mais à l’ère du «tout numérique» et du «tout téléchargeable», ces cercles de cinéphiles ont-ils encore un rôle culturel à jouer? La Faculté de théologie avec son propre ciné-club en a fait le pari (lire l'encadré).

«A cette époque il n’y avait rien, personne ne savait ce que c’était que le cinéma», raconte Freddy Buache, en évoquant les premières années du CCUG; on disait que cet art était fait «pour les militaires en congé et les bonnes d’enfants». Il s’activait déjà alors, à archiver des pellicules et à sauver des copies, dans l’indifférence quasi générale.

Il a fallu bien de la persévérance aux cinéphiles pour organiser leurs projections. Car si trouver les films n’était pas une mince affaire, il fallait de plus batailler avec une censure omniprésente et des budgets inexistants.

Perles oubliées

Aujourd’hui, c’en est bien fini des interdits et depuis l’avènement d’internet, le cinéma mondial semble à notre portée en quelques clics. L’accès au patrimoine cinématographique en est-il facilité pour autant? Rien n’est moins sûr, selon Ambroise Barras, responsable des activités culturelles de l’Université de Genève.

Avec le passage au numérique, «nous sommes en train d’enterrer un continent», sans aucune garantie de pouvoir tout récupérer. Le plus jeune des arts est aussi le plus fragile, «car il est très dépendant de son support». Et faute de travail de médiation, les œuvres du siècle passé ont moins de chance de rencontrer leur public, même avec toute la technologie du monde.

Voir un film dans son format original est déjà devenu un privilège rare, une spécificité que le CCUG tient à maintenir. «Car il y a dans notre public des personnes qui y sont très attachées», affirme le coordinateur du CCUG, Marius Schaffter. Parmi la centaine de personnes qui fréquentent habituellement les trois cycles annuels, il compte environ une moitié de «vieux habitués», à laquelle s’ajoute un public de tous âges, essentiellement universitaire.

Eros dans tous ses états

Le CCUG n’a pourtant rien d’une chapelle d’initiés, «il est ouvert à tout le monde», souligne encore Marius Schaffter. Démonstration sur place à l’Auditorium Arditi, où plusieurs générations de cinéphiles sont venues en nombre assister à la projection de «la Chiave» de Tinto Brass. Ceux qui pensaient avoir tout vu en matière d’érotisme en sont pour leur frais, car à trente ans d’écart, cette œuvre n’a rien perdu de sa verve subversive.

Dans ce cycle intitulé «Images du désir», ce film représente peut-être le pôle le plus latin et le plus joyeusement libertaire. Car le corps n’exulte pas toujours au fil de ces séquences, «il sert bien souvent à parler d’autre chose, notamment de rapports de pouvoirs et de violence psychique», souligne Charlotte Rey, doctorante en histoire et esthétique du cinéma et responsable de la programmation du cycle.

Une époque et ses inhibitions

Triste ou gaie, la chair est prétexte à parler d’une époque et de ses inhibitions (Queen Kelly de Erich von Stroheim, 1928), à en dynamiter les codes imposés (Megavixens de Russ Meyer, 1976), voire à dénoncer ses dérives totalitaires (Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, 1976).

Loin des poncifs du genre, le comité de programmation s’est attaché à explorer ses limites, en exhumant des perles rares, dont la majorité ont plus de quarante ans et sont rarement montrées. C’est encore plus vrai pour les œuvres produites par d’autres cultures, comme les trois films japonais illustrant la veine «Pinku», une manière profondément originale et typiquement nippone de traiter le registre du «film rose».

Nul besoin d’être un connaisseur pour apprécier ces œuvres. Mais il faut parfois de la persévérance pour les dénicher, tant les circuits de distribution sont tortueux. L’expérience acquise «au cours de soixante ans d’activités ininterrompues» se révèle là un atout décisif, relève Ambroise Barras.

Mais c’est surtout en termes de vulgarisation, que les ciné-clubs sont appelés à jouer un rôle important à l’avenir. A l’instar des techniques, les codes de représentation évoluent rapidement et les cinéphiles de demain auront sans doute du mal à comprendre la production d’aujourd’hui.

  • A voir: Cycle «Images du désir», chaque lundi jusqu’au 25 mars, à l’Auditorium Arditi, Genève

  • A lire: La revue du ciné-club universitaire, publiée à l’occasion de chaque cycle, téléchargeable sur le site du CCUG, notamment: «Le ciné-club qui aura 60 ans en l’an 2011».

Entre ici-bas et au-delà
– Histoires de vocations

La Faculté de théologie de Genève a son propre ciné-club qui propose chaque semestre une série de six longs métrages. Inspirés de la religion et de la spiritualité au sens large, ils touchent un public assez varié. Rites de passage, différences et tolérance étaient au programme l’an passé, tandis que le cycle initié ce printemps s’intéresse au thème des vocations.


Le premier film de la série - «Les ailes du désir» de Wim Wenders - prenait le sujet à contrepied en racontant l’histoire d’un ange qui se détourne de sa vocation pour l’amour d’une belle mortelle. Les suivants mettent leurs protagonistes aux prises avec divers problèmes de conscience, notamment l’incontournable «Des hommes et des dieux» de Xavier Beauvois (28 mars), mais aussi d’autres perles moins connues comme «Les anges du péché» (18 avril), l’une des premières œuvres de Robert Bresson, cinéaste éminemment religieux, dont les personnages sont perpétuellement tourmentés par les questions de liberté et de grâce.

Dans le même registre, «Ici-bas» de Jean-Pierre Denis (2 mai) aborde frontalement le problème du choix. Enfin, deux incursions dans le cinéma asiatique, complète ce panorama, avec «Samsara» de Pan Nalin (16 mai) et «Printemps, été, automne, hiver…Et printemps» de Kim Ki-Duk (30 mai).

  • Chaque séance est introduite par un intervenant de la Faculté de théologie ou un invité. Elles commencent à 18h15 et sont suivies d’un apéro-discussion. 
Les films sont présentés dans la salle B012 de l’Uni Bastions. Ils sont gratuits et ouverts à tous. ASM