Un père de l’ethnologie commémoré à l’Isle

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Un père de l’ethnologie commémoré à l’Isle

Joël Burri
22 juillet 2014
Trois ans après qu’une troupe de théâtre a créé un spectacle pour faire connaître aux habitants du village le prestigieux personnage qui fut pasteur du lieu, la commune du district de Morges commémore Jean de Léry en lui attribuant l’allée qui mène au Château.

«Allée Jean de Léry 1536-1613», annonce une plaque à l’entrée du parc du Château de L’Isle. Si le pasteur François Reymondin considère qu’il est plus probable que Jean de Léry soit né deux ans plus tôt, il n’en demeure pas moins heureux de cette reconnaissance de celui qui fut durant les 19 dernières années de sa vie pasteur de L’Isle. Il y a trois ans, avec les Chantres, un groupe qui crée des spectacles musicaux et théâtraux, il avait monté un spectacle visant à faire connaître Jean de Léry aux quelque 1000 habitants du village. Ensuite, «Nous avons eu une demande émmanant du conseil communal que la municipalité a jugé comme justifiée», explique Nicolas Roger, syndic de L’Isle. Et depuis ce printemps, Jean de Léry a son allée.

Une plaque commémorera également Charles de Chandieu, lieutenant général des gardes suisses de Louis XIV, qui fit construire le Château de L’Isle.

«L’anthropologue Claude Lévi-Strauss tenait Jean de Léry pour le père de l’ethnologie», résume François Reymondin. En effet, dans le livre qui l’a rendu célèbre «Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil», Jean de Léry observe et décrit sans poser aucun jugement de valeur la tribu cannibale rencontrée dans la région proche de l’actuel Rio de Janeiro. «Mais cela lui pose parfois des problèmes théologiques!, explique François Reymondin. Par exemple, par ce que les membres de cette tribu appelée “Toüoupinambaoults” vivent tout nu et n’en éprouve aucune honte, ce qui remet en question le récit de la Genèse. Il se demande d’abord si cela signifie qu’il se trouve dans un autre monde, puis, il fait un retour introspectif sur cette expérience et se demande si les élégantes Européennes avec toutes les frivolités qu’elles portent n’en sont pas plus provocantes et donc davantage dans le péché.» Jean de Léry renoncera à évangéliser les «Toüoupinambaoults». François Reymondin explique: «Pour lui, cela aurait été un non-sens. Trop différente, leur culture ne leur permettait pas d’appréhender les valeurs du christianisme fortement ancrées à la culture européenne.»

Cordonnier originaire de Bourgogne, Jean de Léry épouse les thèses de la Réforme et émigre à Genève dans le but d’étudier la théologie. C’est, semble-t-il, durant cette formation qu’avec treize autres «Genevois», il a rejoint, en 1556, une expédition vers Fort Coligny, un petit îlot occupé par la France dans la baie de Guanabara, aujourd’hui baie de Rio. Nicolas Durand de Villegagnon avait demandé renfort à Jean Calvin pour cette expédition financée par le roi de France.

Sur place, Villegagnon s’avère être un chef autoritaire imposant des rythmes de travail effrénés aux hommes l’accompagnant. Pour y échapper, plusieurs «Genevois» fuient alors sporadiquement l’ilot et passent des périodes de plusieurs jours parmi «les sauvages», jugés fort hospitaliers. Ces premiers contacts permirent aux «Genevois» de trouver refuge auprès des «Toüoupinambaoults» après que, lors de la Pentecôte 1557, une vive querelle éclatait entre sur l’îlot Cologny. En manque de vin et de pain dans leurs vivres importés de France, une dispute théologique eu lieu pour savoir si ces aliments pouvaient être remplacés par une farine de manioc et une boisson locale. Véritable dispute théologique ou enjeu d’autorité entre Villegagnon et les «Genevois», cette question dégénéra et entraîna le départ des «Genevois». Ils attendirent jusqu’en 1558 qu’un bateau puisse les ramener en France. Cinq d’entre eux refusèrent toutefois de monter dans ce qui semblait être un rafiot. Ils retournèrent vers Villegagnon qui, furax, en noya trois, rapporte le Centre protestant d’études dans son bulletin de novembre 2010.

Jean de Léry et ses compagnons reviennent en France en 1559. Henry II est décédé et une longue période de répression des protestants a débuté. Jean de Léry, prêche dans plusieurs villes et termine ses études. Difficile de savoir ce qui le pousse alors à L’Isle. «Les mauvaises langues disent que c’est son goût immodéré pour les femmes qui l’obligera à quitter Genève et à s’éloigner de la ville», dévoile François Reymondin.

Cet article a été publié dans:

L'édition du 23 juillet 2014 du quotidien vaudois 24heures.