Une célébration pour restituer des objets sacrés
«Nous étions ouverts, mais nous avons été bousculés», a reconnu Carine Ayélé Durand, directrice du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), le 9 février passé dans son allocution lors de la cérémonie publique de restitution d’un hochet et d’un masque à des représentants de la Confédération haudenosaunee, constituée de six nations autochtones des Etats-Unis et du Canada. Les membres de ce peuple sont communément appelés «Iroquois». Représentants de la Ville et du musée l’ont rappelé, le MEG est entré dans une démarche proactive de décolonisation de ses collections. Reprenant l’expression de «musée culturellement durable», Carine Ayélé Durant a ainsi expliqué que l’institution ne visait plus à enrichir ses collections, mais plutôt à s’engager comme facilitateur pour faire circuler les cultures et construire des relations sur le long terme. Voilà pour l’ouverture, dont cette première restitution d’objet est le symbole. «Mais nous avons aussi été bousculés, car le masque n’a pas été soigné aussi bien que nous l’aurions voulu. Dans la culture à laquelle il appartient, on a des devoirs envers lui, on lui parle, on le nourrit», décrit la directrice du MEG.
Cérémonie sacrée
Plus qu’une cérémonie protocolaire, c’est une célébration sacrée à laquelle ont participé les représentants des autorités et des médias, et un public de plus d’une centaine de personnes. Après avoir demandé l’arrêt des caméras, appareils photo et d’enregistrement audio, les représentants haudenosaunee ont sorti les objets de leur boîte et ont brûlé du tabac en proclamant quelques paroles. S’adressant au public, Brennen Ferguson, membre du Comité des relations extérieures des Haudenosaunee, a expliqué: «Ce masque et ce hochet ont des pouvoirs et aussi un esprit.» Raison pour laquelle il lui tenait tant à cœur de les faire retirer de l’exposition avant d’entamer les démarches pour les faire retourner sur les terres de son peuple. «Nous avons des devoirs envers eux que nous n’avons pas pu remplir depuis deux cent ans», a-t-il regretté.
Pendant la préparation de la cérémonie qu’il allait présider, Clayton Logan a expliqué: «Nous reconnaissons que le vent que nous respirons et la fumée qui se dégage montent dans la direction de nos prières. Dans une cérémonie avec le masque de médecine, le tabac est offert en premier.»
Au tout début de la cérémonie, une incantation a été prononcée pour unir les âmes des personnes présentes et celles qui n’ont pas pu faire le voyage. A la fin, une nouvelle incantation, plus courte, leur permettait de retourner à leur «état naturel».
Démarche exemplaire
Compte tenu des pouvoirs et de l’âme reconnus à ces objets, ils vont reprendre une activité cérémoniale. «La démarche entreprise par le MEG devrait être un modèle, car d’autres musées n’autorisent les restitutions qu’à la condition que les objets soient conservés par des musées autochtones», a glissé Kenneth Deer. «Et puisque nous prenons deux objets au musée, nous en avons rapporté deux», a-t-il plaisanté avant d’offrir deux statuettes portant plusieurs attributs de la spiritualité haudenosaunee. «C’est une représentation de la Terre Mère, mais elle n’est pas sacrée.»
Relations centenaires
La demande de restitution a eu lieu en 2022 pour pouvoir être effectuée en 2023. Hasard du calendrier, c’est en 1923 et 1924 que le chef iroquois Deskaheh est venu à Genève. La restitution d’objets sacrés s’inscrit donc dans le cadre de ce centenaire. Lors de ses visites, Deskaheh avait soulevé le problème de la «perte d’autonomie, de la dépossession et de la destruction des structures politiques, sociales et économiques des peuples autochtones par les Etats colonisateurs», rappelle le MEG dans son communiqué. «L’obligation de quitter les familles pour aller à l’école, de faire perdre la pratique de la langue ou de leur culture aux enfants autochtones constituait un génocide culturel», a quant à lui insisté Kenneth Deer. Une expression forte qui figure d’ailleurs dans les documents de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.
Comme le MEG, plusieurs musées suisses se sont engagés dans une démarche de recherche des origines des objets figurant dans leurs collections et de facilitation de l’accès aux catalogues en ligne, afin de permettre aux représentants des peuples autochtones de faire d’éventuelles demandes de restitution. En particulier, les objets issus du Royaume de Bénin, situé dans l’actuel Nigeria, font actuellement l’objet d’un travail de recherche impliquant huit musées suisses.