Boutcha: messe dans la ville martyre

Boutcha: messe dans la ville martyre / © Laurène Daycard
i
Boutcha: messe dans la ville martyre
© Laurène Daycard

Boutcha: messe dans la ville martyre

Cerise Sudry-Le Dû
28 mai 2024
Reportage
En Ukraine, deux ans après le massacre de Boutcha, dont les photos ont fait le tour du monde, la communauté orthodoxe panse ses plaies.

Ils ont attendu que la messe se termine puis se sont avancés discrètement. Inna*, 33 ans, tient Mark, son fils de 5 mois, dans les bras. Aujourd’hui, il va se faire baptiser. Inna, son mari, et leurs amis vont se présenter au prêtre. «Bien sûr qu’on se souvient de ce qui s’est passé, souffle Ohla*. Mais aujourd’hui on veut aussi aller de l’avant.» Elle vient tous les dimanches. «C’est très important pour nous d’être là. Il s’est passé beaucoup de choses ici.»

Une façon pudique de faire référence à ce mois de cauchemar, mars 2022, quand la ville est devenue le symbole de l’occupation des Russes. Après des combats acharnés, Boutcha est libérée par les troupes ukrainiennes et le monde découvre hébété les photos de dizaines de corps, retrouvés exécutés dans les rues. 116 cadavres ensuite enterrés à la va-vite, dans une fosse commune, creusée derrière l’église. Aujourd’hui, le lieu a été transformé en mémorial et une plaque au nom de chaque victime est inscrite sur un mur d’une trentaine de mètres.

Impacts de balles

Dans Boutcha, impossible de rater l’église orthodoxe Saint-André. Ce mastodonte blanc avec ses dômes dorés se voit à des kilomètres. Et ce dimanche de février – anniversaire de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie –, une petite centaine de personnes se sont réunies au sous-sol. Car le rez-de-chaussée, d’un blanc immaculé, n’est pas encore remis en état et sert pour le moment de lieu d’exposition des photos du massacre. «Pendant l’été, ici, il fait beau, tout est vert, mais c’est important d’avoir cette exposition, pour réaliser ce qui s’est passé», souligne Andriy Halavin, qui y célèbre des offices depuis dix ans. Sur la façade de l’église, des impacts de balles rappellent encore les assauts russes.

Auparavant, la petite ville de banlieue était renommée pour être chic. «Tout le monde voulait vivre à Boutcha, c’était une ville à la périphérie de Kiev, verte, calme. Avant l’invasion russe, il y avait plus de 30'000 habitants», explique le prêtre. Il connaît presque chaque visage. Alors, quand il devient l’un des premiers à retourner dans la ville après sa libération, il reconnaît les corps. «Ces jours-là, chaque minute était consacrée à des enterrements. Nous avons pris les photos et l’ADN de chaque personne pour que sa famille sache qu’elle était là», raconte-t-il, en montrant frénétiquement des photos sur son téléphone.

Messe en ukrainien

Les photos sont la preuve de ce qu’il a vécu. Car du drame, il n’en parle qu’à mots couverts. L’émotion, le traumatisme de ces jours-là c’est comme si l’archiprêtre voulait désormais passer à autre chose. Comme la ville, où les immeubles éventrés par des missiles ou les portails troués par les balles ont été presque tous rénovés. Beaucoup de fidèles continuent à venir aux offices, parfois avec encore plus de discipline. «Quand les Russes sont arrivés, ils sont restés derrière chez nous pendant un mois, raconte Oliana*, 58 ans. J’ai demandé de l’aide à Dieu. Nous avons été épargnés. Je suis tellement reconnaissante et je viens tous les dimanches.»

Andriy Halavin tient à préciser que, depuis la construction de l’église il y a dix ans, «la messe est dite en ukrainien», référence au fait que, depuis deux ans, les églises en Ukraine se déchirent, entre les communautés qui célèbrent en ukrainien, et celles qui, sous patronage russe, continuent à le faire dans la langue de l’ennemi. D’ailleurs une loi est passée, interdisant l’Eglise orthodoxe dépendante du patriarcat de Moscou. Même si, pour le prêtre, «quand les Russes sont venus, peu importait la confession: toutes les églises du coin ont été partiellement détruites. C’était aussi une façon d’effacer notre culture».