«Plus on se comprend, mieux on vit ensemble»
«Quels que soient ton âge, tes croyances, tes valeurs, ta spiritualité, ta culture, ton origine, ton orientation sexuelle, ton identité de genre, que tu sois ou non en situation de handicap, nous souhaitions que tu te sentes bienvenu•e dans cette Eglise.» La formule a été «inventée» en 2017 au LAB, espace protestant genevois emblématique pour l’inclusivité. Mais l’expression a essaimé. Depuis 2021, dans une version un peu différente, elle orne l’entrée de l’abbatiale de Romainmôtier, sur un petit panneau siglé du logo de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) et d’une colombe tenant un rameau arc-en-ciel.
Les deux lieux n’ont pas collaboré. Dans la paroisse vaudoise, le texte résulte d’une réflexion amorcée en 2019 par un «groupe inclusivité» né à la suite d’une journée thématique organisée par une équipe de l’EERV. «Nous avons beaucoup réfléchi à la formulation qui conviendrait le mieux», se souvient Emmanuelle Charrière, membre du groupe de Romainmôtier. «Nous avons fait en sorte qu’elle soit cohérente avec l’accueil concret que nous pouvons proposer dans notre paroisse.»
«Il faut pouvoir partager»
Accueillir mieux ou autrement, en tenant compte de toutes les spécificités de vie, c’est le cœur des démarches qui se disent «inclusives». «C’est lors de la journée thématique que j’ai réalisé que, pour certaines personnes, un lieu de culte pouvait poser un problème. Qu’il ne suffisait pas de vivre une expérience de vie, qu’il fallait pouvoir la partager. Les gens doivent être sûrs d’être acceptés, venir sans affronter une réaction de rejet», explique Christine Pont-Moser, psychologue et membre du groupe inclusif de Romainmôtier.
La réflexion que mène là-bas cette poignée de paroissien•nes s’ancre dans «un double enracinement: l’histoire et l’avant-gardisme», explique le pasteur Nicolas Charrière. Histoire, car l’abbatiale romane qui accueille les cultes protestants attire aussi des personnes en recherche spirituelle, en raison de son ambiance mystique. Et avant-gardisme, car dès les années 1950, le pasteur Amédée Dubois a fait du lieu un foyer de l’œcuménisme. Une fraternité de prière œcuménique s’y installe d’ailleurs en 1973, tenant depuis lors des offices trois fois par jour. Plus d’une fois, ces initiatives pionnières ont irrité. Résultat: pour innover, «on procède à des changements dans lesquels le plus grand nombre peut se reconnaître. On se donne tous les moyens pour que les gens se sentent accueillis... Mais dans le respect de ce qui existe déjà», précise le pasteur.
La liberté d’essayer
Une démarche aux antipodes du LAB, dont le slogan initial était «Construis l’Eglise où tu rêves d’aller: ‹Make your Church›», se souvient la pasteure Carolina Costa, cofondatrice du lieu et aujourd’hui chargée d’un ministère web pour l’Eglise protestante de Genève (EPG). Logé dans le temple de Plainpalais, en face d’un bâtiment de l’université, le LAB est né en 2015, de la volonté de l’EPG de s’adresser aux jeunes entre 20 et 30 ans. «On s’est appelés ‹LAB› parce qu’on imaginait un espace où on avait la liberté d’essayer des choses. A l’époque, on ne s’est pas dit ‹on va être inclusifs›. La base théologique, c’était d’apporter l’amour inconditionnel de Dieu à tout le monde. L’accueil de toute personne sans condition en faisait naturellement partie», explicite Carolina Costa.
Au-delà des canapés cosy, du bar et de sa page Instagram, le LAB a développé un savoir-faire et une attention sur les sujets concernant les personnes LGBTQIA+, «parce qu’à ce moment il y a eu un besoin», explique Carolina Costa. Besoin auquel le LAB a su répondre de manière pionnière en Suisse romande, donnant naissance à une structure qui leur est consacrée, l’Antenne inclusive, aujourd’hui dirigée par Adrian Stiefel. Mais «l’inclusivité, c’est également prendre en compte les questions d’âge, de genre, d’œcuménisme, d’interculturalité, de background religieux et de condition sociale», détaille l’actuel pasteur du LAB, Nicolas Lüthi. «L’inclusion, c’est la communauté qui agit l’amour», complète-t-il.
Attention partagée sur le langage
Pour les deux communautés, le travail sur le langage est primordial «parce qu’il influence notre pensée, notre foi», précise Nicolas Lüthi. «Le LAB est marqué par l’implication de femmes qui ont exprimé leur besoin d’élargir leurs représentations de Dieu. Et ici, quand quelqu’un a une idée, il peut l’amener. On recherche, on dialogue. Je vois ce travail comme quelque chose de créatif: on essaie, on n’est pas dans des choses figées. J’écris ‹l’Eternell›, forme non binaire, ou bien ‹Dieu-ex›. Mais à l’oral, ça ne s’entend pas! Et je ne m’interdis pas non plus de parler de ‹Dieu Père›. Ce qui est important, c’est de rechercher», insiste le ministre. Ses expériences précédentes avec des personnes malentendantes ou marquées par une déficience mentale l’ont d’ailleurs conduit à investir bien d’autres modes de communication: toucher, gestes, symboles...
A Romainmôtier, les termes liturgiques n’ont pas été modifiés. Par contre, «à l’oral, j’utilise le langage inclusif. Mais sans néologismes, pas de ‹iel› ou de ‹celleux›: j’ai le sentiment que cela serait mal compris par la communauté. Je choisis plutôt les doublons. Et je mentionne toutes les catégories de population et les minorités sexuelles, notamment lors des mariages. Dans ces moments-là, c’est particulièrement important de signaler que tout type de couple et d’amour est accueilli», explique Nicolas Charrière. Un positionnement réaffirmé sur le site de la paroisse.
Haters et nouveaux liens
Quels sont les effets de tous ces efforts? D’abord des critiques, évidemment. Venues de l’aile conservatrice de l’Eglise, ou externes, en particulier en ligne. Nicolas Lüthi grimace: «Faire face aux haters (rageux, NDLR), c’est un apprentissage dans la douleur. C’est violent. On reçoit de ces e-mails... Un vrai défouloir!» Eprouvé par cette haine, le pasteur a rodé ses arguments de riposte. Mais préfère de loin se consacrer à sa communauté. Des participant•es fidèles ont trouvé au LAB, avec ses liturgies dédiées, «un cocon» où vivre leur foi, assure-t-il. Ici, on écoute leurs besoins, on leur offre des débats, on relaie leurs luttes politiques, aussi. «On doit avoir cette attention, car le monde où nous vivons est politique», explique Nicolas Lüthi, qui cherche à «articuler» le militantisme et la vie spirituelle. Reste que, depuis sa fondation, la communauté a grandi – et vieilli. Désormais, «il nous faut vraiment toucher les 18-25 ans, reconstruire un groupe, vivre des choses ensemble: ce sont les expériences qui font grandir notre foi!» assure le pasteur, qui aimerait aussi se tourner vers les «sans-toit».
A Romainmôtier, l’équipe se penche également sur les ponts à créer avec d’autres chercheurs spirituels et groupes locaux, notamment écologistes. «On réfléchit, par exemple, à créer une liturgie différente par saison. Ou à imaginer une cérémonie au temps du solstice...» détaille Emmanuelle Charrière. «On peut vivre ensemble dans nos différences sans trahir notre identité. Finalement, plus on a d’occasions de se comprendre, mieux on vit ensemble», complète le pasteur.
Mais tout cela demande du travail. Notamment face à l’incompréhension initiale. «Quand on a apposé notre panneau sur la porte, les gens ne voyaient pas l’intérêt. Ils nous disaient: ‹ce que vous écrivez là est tout à fait normal›», explique Guy Mauron, autre membre du groupe inclusif de la paroisse. Le panneau en question mentionnait la possibilité de faire des suggestions, pour rendre le lieu plus accueillant: «Cela a entraîné d’autres demandes, par exemple des espaces pour les enfants», évoque Christine Pont-Moser.
Parfois, certains se sentent si bien accueillis qu’il faut placer quelques limites. «Après un stage de musique spirituelle, un groupe avait pris l’habitude de se réunir pour pratiquer dans la chapelle, sans nous solliciter. Nous avons juste signalé que la paroisse devait être informée. Il ne faudrait pas qu’un espace soit confisqué. Les gens qui passent doivent pouvoir se recueillir», assure Nicolas Charrière. «Si on laisse quiconque s’approprier un endroit... ce n’est plus une démarche inclusive.»