Rendre visible l’essence de la Réforme

Simon de Tovar et Alain Batifoullier, scénographes du nouveau MIR. / © Lundi 13/Nicolas Righetti
i
Simon de Tovar et Alain Batifoullier, scénographes du nouveau MIR.
© Lundi 13/Nicolas Righetti

Rendre visible l’essence de la Réforme

Remodeler
Le Musée international de la Réforme rouvre ses portes le 27 avril, après vingt-et-un mois de travaux. Allégé, le nouveau parcours de visite veut apporter un regard ciblé, capable d’édifier le plus grand nombre, mais aussi de surprendre les experts.

L’enjeu, c’est l’espace. Installé dans la Maison Mallet à Genève, le Musée international de la Réforme (MIR) a dû modifier tout son agencement pour libérer la cour arrière, où se tenait son entrée, selon les décisions du propriétaire du bâtiment. Mais cette opération, la première d’ampleur depuis la dernière rénovation de 2005, a permis trois gains majeurs pour le musée: d’abord, un accès plus simple et visible depuis la place de la cathédrale. Puis un écrin renouvelé pour son auditorium: le nouveau vestibule d’accueil, qui recevra désormais les événements. Enfin, une surface d’exposition agrandie (voir encadré) et plus cohérente. Le MIR remodelé s’étale désormais sur l’ensemble du rez-de-chaussée: les expositions temporaires dans l’aile droite, les collections permanentes dans l’aile gauche, sous-sol inclus.

Les œuvres restent au cœur du projet

L'enjeu de l'écrit

Le concept initial, lui, n’a pas changé: «Les œuvres restent au cœur du projet», explique son directeur, Gabriel de Montmollin. Par contre, des acquisitions stratégiques ont eu lieu au cours de la rénovation. «Il existe des musées du protestantisme liés à une histoire locale, un territoire. Nous sommes le seul à avoir une dimension internationale. Il nous fallait renforcer les pièces témoignant de la dimension fondatrice de ce mouvement», explique le directeur. Une Bible de Zurich datant de 1536, «première bible protestante de l’Histoire», a ainsi rejoint les collections, tout comme des textes clés de Luther. L’ambition du musée, elle aussi, reste identique: faire comprendre de manière plurielle la Réforme, un mouvement lui-même protéiforme. Le regard se veut d’abord historique, et c’est un comité scientifique qui a validé les orientations générales de la scénographie.

Des lignes qui, dans un espace aussi restreint, ont aussi représenté un sacré défi. «L’écrit a constitué un vrai problème», reconnaît Martine Kahane, membre du comité scientifique et par ailleurs fondatrice du Centre national du costume de scène (Moulins, France). «Dans un musée, il faut bien entendu beaucoup d’indications, on a envie de tout transmettre. Mais un parcours de visite est aussi une bulle, dans laquelle il faut laisser aux visiteurs le temps de la réflexion et de la lecture. Au fil des mois, avec de nombreux allers-retours, les experts de notre comité ont petit à petit supprimé, revu. Ils ont eu ce courage de ne pas tout dire, de choisir. On arrive à un résultat d’une extrême clarté, qui ne surcharge pas d’infos le visiteur, tout en répondant aux attentes d’un public éminemment cultivé», estime la spécialiste.

Scénographie intimiste

Résultat, au premier étage, un parcours en sept lieux: Salle de la Réformation, des guerres de religion, des icônes, de Genève et Calvin, de l’expansion, des 200 bibles et un salon de musique.

Au sous-sol, le parcours aussi a été totalement revu. et intègre notamment des œuvres video. Le tout avec une scénographie économe et graphique: «Nous avons organisé un accrochage des pièces en nuage, comme dans un cabinet de collectionneur, à l’ambiance très intimiste, accentuée par des tapis présents au centre de chaque pièce, qui renforcent le côté feutré, la sensation de privilège, comme si l’on se voyait raconter personnellement l’histoire du protestantisme», expliquent Alain Batifoulier et Simon de Tovar, scénographes. Le studio Tovar, agence spécialisée dans les expositions et musées historiques, a collaboré étroitement avec l’équipe du MIR. Astuce proposée par ses équipes: des «murs flottants», parois montées de toutes pièces, permettant de s’affranchir des contraintes imposées par les boiseries anciennes des lieux. Chaque mur se transforme ainsi en «un ensemble graphique, qui permet de créer une image dans la mémoire du visiteur. Dans un parcours dense et court, que faut-il, par exemple, garder de la Saint-Barthélemy? De Calvin?», explique Alain Batifoulier. Chacun de ces «tableaux composés» illustre une thématique, donne à voir différentes facettes de la Réforme.

Smartphones indispensables

Dans ce parcours concentré, chaque objet revêt donc une forte signification. Et le choix s’est fait non seulement sur «la qualité esthétique, mais en fonction de ce que ces objets représentent», explique Gabriel de Montmollin. Un texte de Marie Dentière, théologienne contemporaine de Calvin, se retrouve donc au même niveau qu’un écrit de Luther, rappel subtil du rôle des femmes aux débuts de la Réforme. Le nœud papillon d’Albert Schweitzer renvoie à l’histoire de la colonisation luthérienne, mais aussi au pacifisme… Une muséographie aussi aérienne et ciblée exige, évidemment, une solide médiation culturelle. Ici aussi, le MIR a innové: plutôt que des écrans qui ralentissent la visite, le visiteur peut scanner chaque œuvre au moyen de son smartphone et approfondir le parcours dans la langue de son choix. «Tout, dans ce projet, a été affaire de mesure. Les technologies actuelles sont donc présentes, mais pas envahissantes», résume Martine Kahane.

Si l’approche est historique et chronologique, «une place pour la subjectivité théologique existe», reconnaît toutefois le directeur, par ailleurs théologien, qui explique ici aussi «procéder par petites touches, à dose homéopathique». Un musée, «ce n’est pas un livre: on donne essentiellement des pistes, on suggère des choses». Ainsi, un Evangile traduit en arabe, produit par l’Eglise catholique, «permet de comprendre en quoi la Réforme, en rendant le texte biblique accessible à tous, a contribué à transformer l’ensemble du christianisme».

En chiffres

2 à 3 millions de francs investis dans les travaux.

150 m2 d’exposition gagnés grâce à la rénovation.

350 objets exposés.

10'000 francs prix d’un Traité de la liberté chrétienne de Luther (imprimé en 1523) acquis par le MIR.

400'000 personnes parcourent chaque année la place sur laquelle donne le MIR.

25'000 visiteurs accueillis chaque année (avant rénovation) .

8 langues utilisées au MIR. Français, allemand et anglais pour les textes exposés. S’ajouteront des traductions en néerlandais, coréen, chinois, russe… et ukrainien.

Sacrés rendez-vous

Avec des surfaces agrandies, le MIR peut désormais construire un solide programme d’expositions temporaires. Deux ans de planification sont déjà sur pied. Brûlante d’actualité, la première exposition accueillie par le MIR pour sa réouverture, sous le parrainage de l’artiste Enki Bilal, se penche sur la manière dont les enfants regardent la guerre. Cent quarante dessins bouleversants, réalisés sur près d’un siècle, éclairent autrement les conflits.

Dès novembre 2023, suivra «Rembrandt et la Bible», sélection de gravures en partenariat avec le Musée d’art et d’histoire et le musée Jenisch.

En 2024, place à une exposition originale sur l’histoire des religions, «Jouer avec les dieux», dirigée par Philippe Borgeaud.

Puis une rétrospective sur la Réforme et les femmes, codirigée par les théologiennes genevoises Sarah Scholl et Lauriane Savoy. 

Ouverture gratuite du jeudi 27 au dimanche 30 avril.

www.mir.ch