Philippe Gonzalez: «il n’y a pas de liberté religieuse en matière de faits»
Photo: CC(by) Université de Liverpool
Propos recueillis par Joël Burri
Donald Trump a nommé Betsy DeVos comme secrétaire à l’éducation. Elle défend le droit à l’éducation à domicile. Est-ce que cela inquiète le chercheur que vous êtes, grand connaisseur, en particulier des mouvements littéralistes?
Effectivement, le droit à l’enseignement à domicile est défendu en particulier par les tenants du créationnisme, puisque c’est un moyen de transmettre leurs valeurs à leurs enfants. En fait, il faut bien comprendre que la droite chrétienne américaine ne défend pas seulement des valeurs religieuses. Elle défend un véritable projet de société. Qui dit créationnisme, dit climato-sceptisme, dit attaque contre les droits reproductifs, les minorités sexuelles. Ce sont les quatre piliers de ce projet de société.
Quel lien tirez-vous entre littéralisme biblique et mise en doute du réchauffement climatique?
A la fin du récit biblique de Noé, Dieu fait la promesse qu’il n’y aura plus jamais de déluge. Les chrétiens littéralistes américains en concluent donc à l’invalidité des recherches démontrant le réchauffement climatique.
Mais même au sein des mouvements évangéliques le créationnisme est contesté. Aux Etats-Unis, comme en Europe d’ailleurs.
Oui, il y a des scientifiques qui appartiennent à ces milieux et qui travaillent au sein du monde scientifique. Mais on se retrouve ici dans la différence classique entre le discours des élites et les agitateurs qui s’adressent à la base d’un mouvement. Ces chercheurs ne sont pas entendus par la base! Ces mouvements manquent d’organes de régulation: des autorités religieuses reconnues qui pourraient contester efficacement ces théories.
A ce titre, ce qui se passe en Suisse romande autour de la controverse sur les écoles privées relève d’un fonctionnement similaire. Les responsables des Eglises évangéliques condamnaient unanimement le créationnisme et mettaient même en question l’existence de tels mouvements en Suisse. Cela a eu pour effet que plusieurs créationnistes assumés sont sortis du bois, contestant leurs élites. Depuis, il y a eu l’enquête sur les valeurs de l’Office fédéral de la statistique qui a montré que près de deux tiers des évangéliques mettent en doute la théorie de l’évolution.
Comment fonctionne cette contestation des observations scientifiques?
La validité des données scientifiques est systématiquement mise en cause. Un exemple nous est donné par Rick Perry, secrétaire à l’Energie de Donald Trump et figure de la Droite chrétienne, tout comme Mike Pence, le vice-président américain. Perry s’appuie sur quelques très rares recherches qui mettent en doute le réchauffement climatique pour prétendre qu’il ne s’agit que d’une hypothèse comme une autre, et pour déclarer son «agnosticisme» sur ces questions. En réalité, il transforme des faits en opinions et des opinions en faits. Il faut donc lutter contre ce système de pensée et rappeler qu’il n’y a pas de liberté religieuse en matière de faits! Il faut cesser de tolérer tous les discours au nom de la liberté de croyance.
Vous pensez donc que ces discours sont dangereux?
Les pays occidentaux sont pris de panique lorsque des extrémistes musulmans commettent des attentats. C’est légitime, et je ne mets pas en doute la nécessité de lutter contre la radicalisation. Mais cet extrémisme reste le fait d’une minorité qui est dénoncé par nombre de leaders musulmans. Pourtant, aux Etats-Unis, des extrémistes chrétiens ont pris le pouvoir. En refusant d’agir contre le réchauffement climatique, c’est l’entier de l’humanité qui est mise en danger, parce que quelques personnes préfèrent s’appuyer sur une certaine interprétation du texte biblique plutôt que sur des travaux de recherches étayés en ce qui concerne le bouleversement climatique!