«Dieu pour-voira»
«Dieu pourvoira.» Quand on termine son ministère, on jette un regard en arrière et on découvre quelques balises. Parmi celles-ci, cette parole biblique aura d’une certaine façon traversé mon ministère. Elle m’a accompagné secrètement à travers maintes difficultés, comme une sorte de confession de foi («c’est écrit!») à laquelle me raccrocher. Je n’aurais pas osé la souffler à d’autres, mais j’ai tenté d’en vivre et d’en rayonner. Dieu pourvoira! Vous y croyez, vous?
Je me suis souvent demandé pourquoi je ne faisais pas davantage confiance à Dieu. Pourquoi, devant chaque difficulté, je dois refaire tout le processus qui va de l’ébranlement et de l’inquiétude à la confiance. Et pour ne rien vous cacher, je m’interroge même parfois: est-ce que je crois vraiment à l’exaucement de mes prières?
«Dieu pourvoira.» On doit cette parole à Abraham, le père des trois monothéismes. Il l’a adressée à son fils Isaac (Genèse 22). Le contexte est celui de la mise à l’épreuve d’Abraham, avec cet appel incompréhensible que Dieu lui adresse de «sacrifier» son fils. Le sacrifice n’aboutira heureusement pas, mais demeure la question que Dieu puisse exiger pareille chose. Cela fait réfléchir à tout ce que nous pensons que Dieu attend de nous! Ce texte a fait couler beaucoup d’encre et d’explications pour le rendre acceptable…
Il pose la question des épreuves sur nos chemins de vie. Dieu a-t-il quelque chose à y faire? Personnellement, bien plus que les explications, ce qui m’a toujours touché, c’est la marche du père et de son fils. L’horizon est une montagne vers laquelle il faut lever les yeux. En chemin, face au questionnement insistant du fils, à deux reprises on trouve la formule: «Ils marchaient tous deux ensemble.» On y entend comme un grand silence entre ce père et ce fils; le père qui admet qu’il ne sait pas, qu’il ne voit pas!
C’est à cet endroit qu’Abraham risque cette parole: «Dieu saura voir.» S’il ne voit pas lui-même, ce qui lui reste, c’est d’espérer dans le «voir» de Dieu! Il se trouve que le mont Moriyya, vers lequel il lève les yeux pour s’y rendre, tire son nom, en hébreu, de la même racine que le verbe «voir», «pourvoir». Ce lieu peut donc évoquer à la fois le rendez-vous avec l’épreuve et l’horizon du «pour-voir» de Dieu. Serait-ce le même?
Cette marche entre ce père et ce fils en dit long sur nos quêtes et nos combats intérieurs, nos marches silencieuses. Combien de fois nous faut-il nous (re)mettre en route, avancer sans tout savoir, démunis et sans explications, admettre que nous ne voyons pas, mais – avec nos fragments de confiance – que Dieu «saura voir»?
Dans le livre de l’Exode, le peuple hébreu tout entier est invité à cheminer face à l’épreuve du désert de la vie. Or comment ne pas être frappé, dans le récit, par la difficulté du peuple à apprendre de ses crises, de ses épreuves et de ses doutes passés? Dieu pourvoit et pourtant, au prochain obstacle, c’est comme si le peuple n’avait rien appris; ses récriminations restent les mêmes.
Je pourrais aisément me reconnaître dans cette attitude. Au terme de mon ministère, je me serai débattu pendant quarante ans avec le «pour-voir» de Dieu. Aurai-je appris de mes déboires? Supporterai-je de cheminer en silence et, qui sait, d’être peut-être conduit, peu à peu, à lever les yeux? Pour moi, ce silence évoque la prière. Une amie pasteure, handicapée, Danielle Clerc, m’a dit un jour: «Moi, la prière, ça m’aide à penser à autre chose.» Cette parole m’avait fait sourire. Elle avait alors ajouté: «Quand je prie, Dieu ne change pas ma psychologie. Il n’enlève parfois même pas mon angoisse. Je suis toujours handicapée, mais Il est là!»