Ouvrir la boîte noire de chaque don

Matteo Bächtold / ©DR
i
Matteo Bächtold
©DR

Ouvrir la boîte noire de chaque don

Thomas d'Aquin
Durant ses études de théologie, Matteo Bächtold interroge la part de spiritualité qui motive les dons. Il crée une application visant la transparence totale pour tout acte de générosité. Et le théologien devient entrepreneur.

Courant 2021, alors étudiant en théologie à l’Université de Genève, Matteo Bächtold est confronté à plusieurs textes philosophiques sur la notion de don. En se penchant sur ceux des pères de l’Eglise, il est interpellé par la vision de saint Thomas d’Aquin. «Tout un pan de ses textes explique, en bref, que ‹peu importe à qui tu donnes, l’important c’est ta relation à Dieu à travers le don›. Autrement dit, le don serait une relation entre le donateur et Dieu, au moyen de la personne ou de la cause à qui l’on donne. Dans un monde sécularisé et laïque, je crois que cela ne s’applique pas: on ne donne pas d’abord pour sauver son âme, mais pour sauver la planète!»

Les deux ne seraient-ils pas liés? «Peut-être, mais les statistiques montrent aussi que, d’année en année, les donateurs réclament de mieux savoir où va leur argent. Si l’on est dans le schéma aquinien, la transparence importe peu. Là, je crois que les donateurs sont extrêmement soucieux de l’impact. On donne, mais on veut être sûr que la cause soutenue avance, souvent parce qu’elle fait partie de notre identité… Je crois qu’il faut prendre au sérieux ce désir d’avoir une influence. Et si ‹sauver la planète› est compris par certains comme ‹sauver son âme›, je crois que cela reflète des évolutions majeures dans notre rapport au religieux.»

De fin 2021 à début 2023, mû par son interrogation, Matteo Bächtold participe au programme d’incubation UCreate à l’Université de Lausanne, destiné à soutenir des projets entrepreneuriaux. Il y développe Click & Act, start-up destinée à aider les ONG à apporter transparence et participation aux dons privés. «L’idée, c’est que le donateur peut suivre un projet spécifique, à travers des informations de terrain, récoltées et rapportées par notre structure. Chaque semaine, le donateur peut prendre une décision sur l’avenir du projet, en collaboration avec l’équipe responsable sur place. Il participe donc à sa gouvernance. Evidemment, toutes les décisions proposées sont profitables pour la communauté soutenue.»

Les donateurs réclament de mieux savoir où va leur argent

Charité participative

L’app ne propose pour le moment qu’un projet-prototype, avec l’ONG Sakhli qui accompagne les femmes victimes de violences en Géorgie, pays auquel Matteo Bächtold s’intéresse dans le cadre de son doctorat. «Les décisions laissées aux donateurs sont par exemple de choisir un atelier d’art-thérapie plutôt qu’un autre: poterie ou peinture, les deux étant bénéfiques pour les personnes concernées», explique le jeune entrepreneur, inspiré entre autres par la collection des Livres dont vous êtes le héros. Le but de cette «charité participative», qui peut interroger? Outre la transparence, il s’agit de créer des liens: «Engager les donateurs, construire une communauté d’intérêts autour d’un projet, assurer un contact quotidien, ouvrir une dimension pédagogique et démocratique dans le don.»

Surtout, Matteo Bächtold surmonte une frustration propre à ses études de théologie: «Lorsqu’on travaille sur un sujet de recherche biblique, ce qui est mon cas, on remet certes en question un modèle de pensée. Mais, finalement, ce qu’on présente reste à l’état d’hypothèse. Avec l’entrepreneuriat, si ce modèle de philanthropie est adopté, cela prouvera bien que les donateurs ont changé de visage, veulent être des ‹don’acteurs›», affirme le jeune chercheur, qui travaille à un projet de recherche sur les évolutions de la philanthropie – et poursuit en parallèle sa thèse biblique sur l’Arche de l’Alliance, à l’Université de Metz.

Un prototype à tester

Click & Act réunit Matteo Bächtold et François Sum, diplômé en humanités numériques (Université de Genève). Le projet a reçu une enveloppe de sponsoring de 10'000 francs. Click & Act prévoit de se rémunérer avec une commission prélevée sur les dons. Aujourd’hui, l’app est fonctionnelle, mais cherche de nouveaux projets pour lesquels établir des partenariats.

Infos: www.clickandact.org.