Quand la foi germe derrière les barreaux

Foi et prison: un mélange des genres pas si étonnant que ça. / IStock
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Foi et prison: un mélange des genres pas si étonnant que ça.
IStock

Quand la foi germe derrière les barreaux

L’actu a fait les gros titres de la presse régionale: le «pédophile de Gland» invoque sa conversion pour demander la liberté conditionnelle. Rencontre avec différents aumôniers chrétiens sur ces cheminements plus fréquents qu’il n’y paraît.

«Je suis apaisé. J’étais totalement athée. J’ai trouvé la foi. Je demande que soit entendu l’aumônier de la prison pour témoigner de mon chemin.» C’est ainsi que s’est exprimé devant le Tribunal criminel de Nyon, mardi 11 juin, celui que l’on surnomme le «pédophile de Gland», comme l’a rapporté le quotidien 24Heures. Depuis trois ans, le détenu suivrait d’ailleurs un cours de théologie par correspondance. Après avoir purgé les deux tiers de sa peine, l’homme appuie aujourd’hui sa demande de liberté conditionnelle en raison de ce changement intérieur.

Si l’histoire a de quoi susciter l’étonnement, quand ce n’est pas l’incrédulité, elle met en lumière une réalité bien connue des aumôniers de prison, à savoir l’intérêt que relèvent soudain les questions liées à la foi en milieu carcéral. Un mélange des genres, au final, pas si étrange que ça. Explications.

Quête de sens

«La prison est un lieu propice à la réflexion, aux questionnements sur le sens de la vie», lâche immédiatement Sandro Agustoni, aumônier catholique dans le canton de Neuchâtel. «Les détenus ont le temps de penser. Ça tourne énormément dans leur tête», enchaîne Nathalie Henchoz, aumônière protestante vaudoise. «Beaucoup essaient de comprendre qu’est-ce qui a «foiré» dans leur vie pour en arriver là. Et qui dit quête de sens, dit recherche spirituelle...»

Éric Imseng, aumônier de l’Église protestante de Genève, tient cependant à être clair sur la question: «Dans nos accompagnements, nous nous engageons à ne pas faire de prosélytisme. Quand je rencontre un détenu, je n’ai ni projet ni volonté spécifique de ce point de vue: je ne travaille pas à en faire un protestant!» Dans leur travail, ces accompagnants spirituels disent en effet tous laisser cette dimension s’inviter d’elle-même dans la discussion.

C’est Dieu qui m’a mis là. Pour que j’arrête mes bêtises.

Or, lors de ces entretiens, les interrogations sur Dieu surviennent plus qu’à leur tour, comme en témoigne Thomas Isler, aumônier de prison protestant dans le canton de Neuchâtel. «Beaucoup de détenus me disent: "C’est Dieu qui m’a mis là. Pour que j’arrête mes bêtises".» Comment se l’explique-t-il? « Trouver un sens à ce qui leur arrive les aide à supporter l’enfermement.»

Tout en profondeur

Dieu peut donc se trouver derrière les barreaux? «Je rencontre régulièrement des personnes qui décident de lire la Bible en prison et qui commencent un bout de chemin en s’osant à la prière», confirme Nathalie Henchoz. «J’ai rencontré plusieurs personnes qui ont pris le temps de lire leur Bible du début à la fin sans louper une seule ligne!» De l’expérience de Thomas Isler, il s’agirait surtout de personnes ayant déjà été en contact avec la religion par le passé, à travers leur éducation familiale ou l’école. «Cela ne représentait alors rien de concret pour eux, et ça prend alors forme à ce moment-là de leur vie. Parfois, c’est même la seule chose qui les aide à survivre.»

«Si certains demandent un entretien juste pour pouvoir sortir de leur cellule, ce qui est de bonne guerre, c’est souvent le début d’un riche échange», confie Nathalie Henchoz. Et d’enchaîner: «En prison, les échanges sont souvent plus rapidement profonds. Les détenus ne s’embarrassent pas de politesse ni de faux semblants.» La question de la culpabilité n’est d’ailleurs jamais vraiment absente. «En sept ans de pratique, je n’ai jamais rencontré un condamné qui me dit qu’il n’a rien fait», témoigne Éric Imseng.  Dans le christianisme, le remords a un nom: la repentance. L’aumônier genevois préfère parler d’un «moment de vérité sur soi – des moments toujours bouleversants».

Comment croire que Dieu offre réellement une deuxième chance quand la société ne vous l’offre pas?
Nathalie Henchoz, aumônière de prison de l'EERV

Une deuxième chance?

Au cœur du message biblique, se trouve précisément la notion de seconde chance. Les personnes incarcérées y seraient-elles d’autant plus sensibles? «C’est un réel sujet de réflexion pour beaucoup de ceux qui passent par l’aumônerie: Dieu me pardonnera-t-il ? Est-ce que j’ai droit à un avenir?» formule Nathalie Henchoz.  Et de pointer: «La prison n’offre pas tellement de deuxième chance: en sortant, ils ont tous des difficultés à trouver un travail et un logement. Beaucoup sont aussi refoulés, et cela peut être dramatique pour eux. Alors comment croire que Dieu offre réellement une deuxième chance quand la société ne vous l’offre pas?»

Autre difficulté selon l’aumônière: la plupart des détenus souffrent d’une «estime d’elles-mêmes quasi-inexistante, et ce souvent avant même le délit. Pas facile dès lors de les convaincre qu’elles sont enfants de Dieu et, à ce titre, dignes d’être aimées et de vivre.» Pour Sandro Agustoni, là est précisément le cœur de sa mission: «Dieu parle à travers nous. Si la personne se sent aimée, accueillie - et qui plus est par un représentant de l’Église - alors ils pourront alors entrevoir l’amour de Dieu, sa miséricorde.» 

Il n’est pas rare que certains condamnés estiment avoir commis un crime «impardonnable». «Je leur dis que s’il n’y a pas de pardon pour eux, il n’y en a pas pour moi. Nous sommes alors tous foutus», leur répond Éric Imseng. Thomas Isler se souvient de ce détenu musulman, «qui avait tué sa femme se pensait perdu», raconte-t-il. «Je  lui ai juste formulé la conviction que nous avions, en tant que chrétiens, que si on est vraiment sincère, Dieu pardonne. On n’en a plus parlé, mais étonnamment une certaine joie de vivre est revenue chez lui...»

Et demain?

Touchés aujourd’hui par le message biblique, l’avenir n’en est pas pour autant tracé pour ces personnes, parfois lourdement condamnées. «Le pardon ne saurait être une solution,  c’est un chemin», insiste encore Éric Imseng. «La foi ne doit pas déresponsabiliser la personne», souligne à son tour Sandro Agustoni: «Aide-toi, et le ciel t’aidera.»

Nathalie Henchoz admet également être «consciente que même si l’intention est parfaitement sincère, beaucoup oublient Dieu dès qu’ils sont libérés. Il y a tellement de pressions au moment de la sortie...» Pour autant, tient-elle à ajouter, «cela n’empêche pas que certains puiseront une réelle force dans leur foi nouvelle pour changer radicalement de comportement. De vraies belles conversions, tout en douceur et en discrétion le plus souvent.»

Un argument pour la justice?

Le 11 juin, la Cour du Tribunal criminel de Nyon a accepté de reporter l’audience de celui que l’on surnomme le «pédophile de Gland». En effet, alors que celui-ci avait expressément demandé l’audition de son aumônier lors de celle-ci, comme c’est son droit, sa longue lettre n’avait pas été lue jusqu’au bout. Le  président du tribunal s’en est excusé, comme le rapporte 24Heures, considérant que ce témoignage «était susceptible d’apporter un éclairage sur l’évolution du condamné».

L’aumônier protestant de ce dernier n’a pas souhaité répondre à nos questions. Thomas Isler nous explique quant à lui, que dans les prisons où il travaille, on leur a récemment demandé de ne plus venir témoigner lors de ces audiences. «Ils ont peur que l’on soit instrumentalisés», rapporte-t-il. Son collègue catholique le regrette fortement. Il nous confie qu’il ne s’empêchera cependant pas, selon les cas, d’assister juste le détenu par sa seule présence: «Je ne pourrai plus livrer un «témoignage de bonnes mœurs», mais je lui témoignerai ainsi de mon soutien.»

Les aumôniers ont-ils parfois l’impression d’être manipulés? «Pas vraiment», répond Nathalie Henchoz. «Les détenus comprennent vite que les aumôniers n’ont aucun pouvoir.» Néanmoins, poursuit-elle, «il arrive parfois que l’un ou l’autre nous demande une lettre attestant de leur bonne conduite et de leurs efforts pour retrouver une vie normale. Mais ces demandes arrivent après plusieurs mois d’entretiens et d’échanges, quand nous les connaissons bien. Et ces lettres ont très peu d’influence sur la décision d’un juge.»