«L’enjeu du chez-soi se retrouve dans une mosquée»
Entre 2017 et 2021, Guillaume Chatagny s’est rendu régulièrement dans un lieu de culte musulman, dans une ville suisse. Le nom exact reste confidentiel, par souci de discrétion, mais le travail a eu lieu hors des grands centres communautaires urbains, davantage analysés par les chercheurs et parfois fatigués d’être mis sous la loupe. Sa recherche anthropologique et sociologique est essentiellement basée sur l’analyse de nombreuses photographies du lieu et leur description minutieuse. Elle met entre autres en lumière des comportements, relations, manières d’agir, et des valeurs sous-jacentes portées et partagées par la communauté.
Pourquoi choisir d’analyser une salle de prière?
L’idée était notamment de se détourner de la dimension de la croyance, sacro-saint concept sur lequel finissent par tomber tous les sociologues des religions. Plutôt que des entretiens – une dizaine ont été réalisés seulement –, j’ai choisi la démarche de l’anthropologie matérielle. Le point de départ, c’était de regarder les objets mobilisés durant les pratiques communautaires et de leur «demander» ce qu’ils avaient à dire sur cette communauté. La question de l’agencement de l’espace est venue ensuite.
Et que «disent» alors les objets?
En regardant les gens interagir avec eux, à travers la photographie, on voit des choses qui ne sont généralement pas au centre des préoccupations. Par exemple, dans cette salle de prière se trouve une table que tous les habitués dessinent quand ils doivent représenter le lieu. A travers elle, on comprend tout l’enjeu du chez-soi dans une mosquée. On s’y assied pour attendre le moment de la prière, prendre un café ensuite. Ces aspects banals ne doivent pas être passés sous silence.
Et que raconte le lieu de prière en lui-même?
Cet espace de 100 m2 est utilisé pour des activités très différentes. En observant par exemple les gestes, j’ai entre autres été frappé par la manière très fine dont les acteurs interagissent: comment se forme une file pour sortir du lieu sans déranger ceux qui prient toujours? Cela rejoint des logiques sociales à l’œuvre dans cet espace, qui propose à la fois un «entre-soi», un «chez-soi» et un espace «pour la relation à Dieu».
Ce qui fait que tout tient au même endroit, c’est l’articulation, l’interrelation et la fluidité entre ces dimensions. On ne peut pas prier, entrer dans la relation à Dieu, sans passer par un temps de «chez-soi», de salutations mutuelles ou d’ablutions, par exemple.
Comment allez-vous restituer ce travail?
J’aimerais prévoir une rencontre avec la communauté. Si la thèse peut paraître très scientifique, je crois qu’elle permet de thématiser certaines questions auxquelles les communautés musulmanes sont confrontées. Ce travail met ainsi en lumière la nécessité pour ces structures – soumises à des exigences toujours plus importantes de transparence – de disposer d’un espace clos, garantissant une certaine intimité, qui ne se donne pas à voir à tous. C’est intéressant notamment pour les communautés qui se posent la question de changer de locaux, et où les jeunes générations souhaitent acheter de nouveaux bâtiments. Enfin, les valeurs d’entre-soi, de chez-soi, de relation à Dieu peuvent se transposer à bien d’autres communautés religieuses ou espaces.
La recherche
Ethnographie visuelle d’une salle de prière musulmane en Suisse: une analyse des formes de l’islam ordinaire, Université de Fribourg, 2024.