La femme adultère, ou la pécheresse pardonnée par Jésus

© Laura Fournier
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© Laura Fournier

La femme adultère, ou la pécheresse pardonnée par Jésus

Anne-Catherine Baudoin
6 janvier 2020
Suspense
Elle n’a pas de nom, pas d’identité autre: c’est une femme adultère, et c’est tout. On la voit prisonnière d’une situation et d’un passage particulièrement curieux de l’Evangile de Jean (7,53-8,11). Pourtant, elle est avant tout une pécheresse pardonnée.

Pour un adultère, il faut trois personnes – ici, on devrait avoir le mari, la femme et l’amant. Or seule une femme est amenée devant Jésus. Visiblement, au début de l’épisode, ce n’est pas vraiment d’elle que l’on se préoccupe: il s’agit d’abord de mettre Jésus dans une situation délicate. Va-t-il innocenter cette femme, aller à l’encontre de la loi? Va-t-il se résoudre à la condamner, lui qui d’habitude pardonne? Les experts de la loi mettent Jésus à l’épreuve.

En refusant de répondre directement à la question, en créant un suspense rare dans les Évangiles, en renvoyant à eux-mêmes les accusateurs, Jésus retourne la situation: d’une question sur l’application de la Loi de Moïse, la scène devient une introspection. «Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle» (Jn 8,7).

On ignore tout de l’attitude de la femme pendant cet échange. Elle ne porte pas de nom. On ne sait pas d’où elle vient. On ne sait rien d’elle hormis sa faute – une faute qui n’est pas mise en question, une faute dont la femme ne se défend pas. On l’imagine craintive, honteuse, dépenaillée peut-être – elle a été prise «en flagrant délit». Lui a-t-on tendu un piège? Qui l’a dénoncée? L’histoire ne le dit pas.

Ce n’est que dans la seconde partie du passage, après le départ de ses accusateurs, que la femme devient active et peut prendre la parole. Elle ne prononce que deux mots en réponse à Jésus: «personne, Seigneur» – et le terme «seigneur» n’est pas ici une confession de foi, c’est une façon respectueuse de s’adresser à son interlocuteur. Le dialogue est bref, mais la parole finale de Jésus dit l’essentiel: les juges humains se sont récusés, et le juge divin, dans une même phrase, accorde le pardon et exhorte à ne plus pécher.

«Alors s’étant relevé, et ne voyant plus que la femme, Jésus lui dit: ‹Femme, où sont ceux qui t’accusaient? Personne ne t’a-t-il condamnée?› Elle répondit: ‹Personne, Seigneur.› Et Jésus lui dit: ‹Je ne te condamne pas non plus: va, et désormais ne pèche plus.›»
Jean 8,10-11

Le message pour aujourd’hui

L’épisode pourrait s’appeler «la pécheresse pardonnée». Mais ce n’est pas sur cette libération finale que des siècles de lecture ont mis l’accent: on a préféré rappeler la dimension sexuelle du péché et l’accusation qui était portée. Pourtant, la pointe du récit porte bien sur le pardon accordé par le Christ à une femme que les hommes étaient prêts à condamner. Une femme anonyme, qui représente les plus faibles, les victimes, celles et ceux que l’on réduit à un rôle d’objet, mais à qui le Christ offre son regard, son attention, et son pardon aimant et libérateur.

L’anecdote 

Au IVe siècle, saint Augustin demandait si des maris jaloux, inquiets de la liberté que Jésus y donnait aux épouses, n’avaient pas arraché cette page de leurs bibles! De fait, le passage ne se trouve pas dans la plupart des manuscrits grecs avant le XIIe siècle, et n’était pas dans certains manuscrits latins.

Postérité

«Ne jetez pas la pierre à la femme adultère/Je suis derrière!» (Georges Brassens, «A l’ombre des maris»). Ce passage est l’un des plus célèbres des Évangiles, et l’expression «ne pas jeter la pierre» en est directement issue.

Le saviez-vous? 

Dans les manuscrits grecs du Nouveau Testament, ce passage se trouve parfois dans l’Évangile de Luc, dont il est proche par le style, et parfois après l’Evangile de Jean, comme un «bonus» après la conclusion. Il s’agit sans doute d’une histoire ancienne sur Jésus qui n’a été intégrée que tardivement à l’Évangile de Jean.