«Du temps et de l’espace pour la relation au Christ»
Entré à Taizé en 1986, à 21 ans, frère Matthew en est le prieur depuis décembre 2023. Il a grandi dans le nord de l’Angleterre, dans la tradition anglicane. Aujourd’hui à la tête d’une communauté de 80 frères qui accueille chaque année 50''000 visiteurs, il valorise les temps de discernement et de recentrement personnel, même loin de la colline bourguignonne.
A quoi ressemble le ressourcement pour vous?
Me jeter dans la nature! Nous avons la possibilité, selon les besoins de chacun, de partir en vacances, par exemple quand des amis nous prêtent une maison. Lorsque c’est le cas, je pars avec trois ou quatre frères pour dix jours en montagne: grandes balades, pique-niques dans les hauteurs – et maintien d’une vie communautaire. A Taizé, il est aussi facile de prendre une après-midi pour une longue promenade en forêt. Mais prendre un temps de repos, des vacances à quelques frères est bien possible.
Et le fait de partir en retraite?
Au début de la communauté, les frères vivaient dans une très grande solitude. Il était rare qu’ils partent en retraite. Un de nos frères partait cependant vivre le carême au monastère de Tamié. Et les sœurs de Saint-André, qui pratiquent la spiritualité ignacienne et vivent près de Taizé, ont accompagné des frères dans les exercices spirituels de cette tradition dès les années 1970- 1980. Faire une retraite de trente jours fait partie de notre formation.
Avez-vous aussi pratiqué cet exercice?
Oui, et j’ai eu la grande joie en février 2023, pour accueillir la responsabilité qui m’était confiée, de faire dix jours de silence dans la communauté de Grandchamp (NE). Ce cadre splendide, au bord du lac, et l’accompagnement par les sœurs ont constitué une excellente préparation pour ce qui m’attendait.
Qu’avez-vous recherché?
Me reposer en Dieu et me «re-poser» en lui. J’avais été très occupé, je cherchais une coupure – mais aussi à comprendre ce que l’Esprit voulait me dire. Le pire dans ma charge serait que je devienne une sorte d’administrateur! Nourrir sa vie intérieure est essentiel, il faut se donner de l’espace et du temps pour cela. Au cœur de notre appel, il y a la relation au Christ. Si je ne la nourris pas, elle ne peut pas grandir. Cela ne veut pas dire que je vis tout le temps des expériences fortes, mais il y a une fidélité à la vie intérieure. Pour ma part, avant la prière du matin, j’ai besoin d’un espace d’une heure pour une lecture biblique, une prière personnelle, sans laquelle je ne pourrais pas «fonctionner».
Et qu’avez-vous trouvé?
Un vécu découvert durant les exercices spirituels a été confirmé, un verset a refait surface: «Venez à moi, car je suis doux et humble de cœur» (Matthieu 11 : 28-29). Mon critère de discernement pour réaliser des choix, c’est «Qu’est-ce qui me conduit à devenir plus doux et humble?».
Quels conseils donneriez-vous à des retraitants?
Il faut au moins deux ou trois jours pour changer de registre et se recentrer. Si l’on veut vraiment aller dans les profondeurs, il faut s’en donner les moyens.
Voyez-vous aussi un risque à l’exercice?
Dans la rencontre entre Jésus et Nicodème, relatée dans la Bible, il est dit qu’à la fin, les humains choisissent les ténèbres, car ils ont peur d’être mis à la lumière de Dieu. Nous avons tous nos complexités. Mais je crois que cela devient compliqué quand on les cache, qu’on ne veut pas les regarder. La possibilité de se faire accompagner est pour moi très importante: rendre compte devant une autre personne permet de concrétiser la manière dont je rends compte à Dieu. Bien entendu, on ne peut pas tout dire, tout de suite. Le chemin de notre existence, c’est de nous réconcilier avec ce que l’on a en nous.