Terreau pour devenir une femme libre
Le thé vert parfumé à la cardamome et au safran est invitation joyeuse à la dégustation et au partage. Taiba* est belle, un sourire timide et plein de douceur. Elle est heureuse de me recevoir. Le mobilier est choisi avec soin. C’est sobre et chaleureux. Elle s’installe sur son canapé et se met à me raconter son histoire. Parfois, elle est submergée par l’émotion, baisse la tête avec pudeur. Je suis bouleversée, impressionnée: elle a une capacité de clarté et de résilience incroyable. Née en Iran, ses parents sont afghans et sont venus s’y réfugier. Les conditions sont difciles. Taiba va à l’école.
A l’âge de 14 ans, un jeune homme lui apporte une bague en vue d’un mariage. Les parents de Taiba refusent. Un an plus tard, même scénario, mais les fiançailles sont organisées. Taiba n’a rien à dire. A 16 ans, elle est mariée. Neuf mois plus tard, elle est frappée par son mari pour la première fois. A 18 ans, elle devient maman. Elle parle de la découverte de son bébé avec beaucoup de tendresse et d’émerveillement. Ses cheveux et ses yeux sont noirs. Elle lui donne le prénom qui veut dire «A la lune». Elle se sent comblée. Pourtant, les coups retombent. Elle se plaint auprès de sa mère qui lui répond: «Tu dois supporter, c’est ton mari. Tu crois que ton père ne me frappait pas moi?!» Comme un emprisonnement culturel et traditionnel, où même les femmes ne peuvent pas être solidaires…
Comme si ce n’était pas assez, la précarité s’installe. Le mari n’a pas un statut régularisé, il travaille à la maison, se cachant. Taiba coud des hijabs avec la machine qu’elle a achetée. Elle déteste ça, mais il faut manger. Cinq ans plus tard, elle met au monde une autre petite fille, elle lui donne le prénom d’une fleur: Narcisse. Le quotidien est incertain. Taiba a l’impression de vivre sa vie comme une triste routine, elle n’a aucune marge de manœuvre. L’espoir se rétrécit.
Pourtant, c’est une battante, elle est forte, elle est fière. Ses filles sont ses rayons de soleil. L’exil en famille s’impose, aller chercher un endroit où tout recommencer. Ils quittent l’Iran tous les quatre.
Enfn, ils sont en Suisse. Une autre forme de précarité: un permis F, une langue à apprendre, des us et coutumes à adopter, pas encore de travail…Pour lui, tout est diffcile, parfois il est violent. La continuité a un goût amer, mais les forces de Taiba sont intactes et se déploient envers et contre tout. Elle réfléchit comment le quitter. Ici, cela semble possible. Pendant deux ans, elle cogite, elle sait qu’elle a quelque chose à faire, mais quoi, comment? Elle n’y arrive pas.
Un soir d’hiver, il la frappe encore, elle réussit à s’échapper, elle crie, appelle au secours et s’écroule au sol. Des voisins appellent les feux bleus, lui parlent depuis les fenêtres. Enfn, la police est là, ils la rassurent, l’ambulance l’embarque, les soins seront longs et importants. Lui est enfermé en prison, il va être jugé. Elle demande le divorce. Les femmes compatriotes comprennent. L’une d’elles lui reproche de vouloir divorcer…
De cette horreur, Taiba garde un cadeau de Dieu. Lors de cette dernière violence, elle a vécu comme une expérience de mort imminente et, depuis, elle vit comme si Dieu lui avait donné une nouvelle vie. Bien sûr, cela ne veut pas dire un raccourci pour se reconstruire, guérir, s’épanouir… elle le sait, elle lui fait confance. Elle croit que Dieu prépare quelque chose de juste pour elle.
Sa foi me touche. Je prie avec elle qu’elle et ses filles grandissent en liberté, s’épanouissent et deviennent des femmes réconciliées avec leur histoire. Et qu’un de ses rêves se concrétise: vivre en sécurité avec ses filles, finir sa formation, avoir un diplôme et décrocher un travail permettant son autonomie!
*Prénom d’emprunt
Aller à leur rencontre
Vous souhaitez aller à la rencontre de ces personnes aux chemins hors du commun? Plusieurs activités sont organisées, comme la Journée des réfugiés, qui se déroulera le samedi 18 juin. Un thé sera servi par des dames afghanes sur place Pestalozzi à Yverdon-les-Bains.
Dimanche des réfugiés, dimanche 19 juin, à 10h, à Grandson, culte avec la communauté érythréenne et possibilité de partager un repas érythréen.