«Notre socle commun nous unit»
Vous êtes togolais, volontaire d’une Église du Sud envoyé dans une Église du Nord par la Communauté d’Églises en mission (Cevaa). Quel est votre mandat?
Il comporte deux volets: créer des relations avec les communautés issues de la migration, que nous appelons communautés issues de la diversité chrétienne, et exercer un regard extérieur. C’est-à-dire identifier les richesses ecclésiales des Églises d’ici et les mettre en avant pour faire ressortir ce qui nous unit autour du Christ.
Comment votre arrivée à Genève s’est-elle passée ?
J’ai été bien accueilli, avec un petit fond de curiosité par rapport au travail que j’allais faire, mais cela n’a pas suscité de méfiance. Cela intéresse les gens lorsque je dis que je suis venu pour témoigner de la foi chrétienne telle que nous la vivons dans le Sud.
À quel stade en était l’interculturalité en Église à cette époque?
Dans un premier temps, j’ai été positivement surpris de voir que des structures travaillaient déjà sur la création de liens, entre autres Témoigner ensemble et Genève et le Rassemblement des Églises et communautés de Genève. Le fait que l’EPG loue ses locaux à des Églises issues de la migration qui ne sont même pas de notre tendance ni théologique ni ecclésiologique a été un émerveillement pour moi parce que ce n’est pas envisageable en Afrique. Cela a donc été une bonne surprise pour commencer mon ministère: j’avais déjà un terrain plutôt favorable.
Cela, c’était la première impression…
Oui, j’ai vite compris que ce n’est pas si facile dans la pratique, parce que les tendances ne sont pas les mêmes. Certains disent: «On est déjà très gentils en vous laissant nos locaux.» Dans certaines communautés issues de la migration, la tendance d’interprétation théologique de la parole de Dieu et l’herméneutique qui en est tirée sont encore souvent ancrées dans beaucoup de moralisation et de culpabilisation. Il y a aussi des divergences dans la lecture, dans la conception de la prière, dans l’envie de faire le silence ou au contraire du bruit pour le Christ, dans l’expression corporelle et dans la manière dont les gens apprécient le temps dans la présence de Dieu. Tout cela n’aide pas pour aller plus loin.
Est-ce que ça a évolué depuis quatre ans?
Oui. J’ai intégré la Pastorale de la Région Salève puisque j’habitais la maison de paroisse de Lancy Grand-Sud. J’ai discuté, j’ai expliqué: cela a été bien reçu. Le cadre s’y prêtait bien puisque les quatre paroisses qui composent la Région accueillaient déjà des communautés venues de la migration, de tendances différentes. Pour moi, cela a été comme une grâce offerte d’avoir ce champ pour essayer là où j’habitais. Désormais, il n’y a plus vraiment de rigidité envers les divergences, mais une vraie souplesse dans le «célébrer ensemble». La paroisse de Lancy Grand-Sud est même allée encore plus loin en réussissant une sorte de mixité entre la communauté camerounaise et la communauté autochtone. Pour que les lignes bougent pour parvenir à célébrer ensemble, il a fallu de nombreuses concessions des deux côtés. Je peux essayer de mettre en place cela dans d’autres Régions puisque mon ministère est itinérant.
Comment réussir à ce que les Églises historiques fassent plus que coexister avec les communautés issues de la migration?
Si l’on est certains que la volonté de créer des liens est réciproque, que l’on croit que nous sommes autour du Christ et que nous portons une humanité en nous commune d’être des frères et des sœurs, alors on peut penser à faire Église ensemble. Il est ensuite nécessaire de poser des cadres de dialogue, d’ouverture, de communication et d’identifier ce qui nous unit et nous rassemble — la Bible, le Christ qui nous appelle au culte, Dieu — car ce socle commun est plus grand et en plus grand nombre. L’Église autochtone fait beaucoup en ouvrant ses portes. Il appartient maintenant aux Églises issues de la migration d’avoir envie d’aller plus loin et d’avoir de la patience pour que les petites fausses notes n’interrompent pas cette volonté.
Êtes-vous optimiste pour la suite?
Oui, très! De jeunes chrétiens arrivent se réclamant de nous, cherchant des Églises comme lieux de spiritualité et d’adoration ; et nous cherchons la jeunesse dans nos Églises chrétiennes vieillissantes et en perte de vitesse sur le plan du nombre. On se rencontre et c’est gagnant-gagnant autour du Christ.
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Espoir Adadzi vient de publier Interculturalité en Eglise. Témoignage et propositions d’un envoyé du Sud (Office protestant d’éditions).
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