Michel Danthe: l’ex-rédac chef sans états d’âme converti à la théologie

Michel Danthe / © ARC/Jean-Bernard Sieber
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Michel Danthe
© ARC/Jean-Bernard Sieber

Michel Danthe: l’ex-rédac chef sans états d’âme converti à la théologie

Zig zag
Quittant la presse à 61 ans, il considère la théologie comme la meilleure manière de comprendre le monde actuel. Et vise un doctorat avant son 75e anniversaire.

Lévitique. C’est à ce livre peu cité au culte qu’on l’arrache en débarquant dans son appartement lausannois tapissé de livres. Souriant, posé, la parole douce et la pensée aussi acérée que le regard, Michel Danthe s’empare du Lévitique – une étape de son bachelor, cet été – pour montrer comment la théologie éclaire notre présent. Ce livre de règles et de rituels met en relief le sacrifice comme clef de voûte de la religion hébraïque, et donc de celle qui imprègne toutes nos sociétés, jusqu’aux plus farouchement laïques. Religion antique survivante, le christianisme plonge ses racines dans le culte sacrificiel, qui nous est si étranger aujourd’hui. Avec la particularité unique qu’il s’agit du Fils du Dieu trinitaire: Dieu se sacrifie lui-même. C’est de là que nous venons!

Danthe embraierait sur la sainte cène, mais le Lévitique n’est qu’un exemple; c’est dans l’ensemble de ses études – à la Faculté de théologie protestante de Genève plutôt qu’en sciences des religions dans sa ville – qu’il trouve le sens actuel de sa vie. Parce que «le religieux structure toutes nos sociétés», il a voulu non pas observer les religions, mais en connaître une de l’intérieur. Le voici au coeur des textes, dont il démêle les fils pour découvrir les buts idéologiques des rédacteurs, les leviers de pouvoir des positions théologiques.

Devenir dominicain?

Quel zigzag jusqu’à la Faculté! Fils d’un électricien protestant et d’une Italienne échaudée par les bonnes soeurs de son enfance bourgeoise appauvrie, le jeune Michel ne fréquente l’école du dimanche que pour échapper au match de foot que dispute son père. «Pour refuser, il faut connaître»: le pasteur balaie son rejet du catéchisme… et le voici moniteur à l’école du dimanche, avant de tomber au gymnase sur un prof de maths catholique converti et habilement prosélytique. Passionné de philosophie thomiste, attiré par l’ordre et les ordres, Danthe se voit dominicain.

Mais «un réflexe protestant» le détourne de la conversion: impossible de concilier son homosexualité, assumée dès l’adolescence, et le voeu de chasteté! «Catholique, j’aurais pu jouer de la confession et du pardon. Mais un socle de cohérence protestante m’interdit la double morale». Il s’éloigne de l’Eglise, «tout en gardant toujours la préoccupation des fins dernières»…

Etait-ce ce qu’on appelle la foi? Un rire sardonique répond à la question simpliste. «Je pensais que Dieu existe. Mais penser, acte intellectuel, n’est pas croire. Avoir la conviction au-delà des mots, dit Kierkegaard, c’est être transpercé par cette croyance au point de vouloir sacrifier son fils si Dieu le demande.»

Mystérieuse émotion de la foi

«Croyant sceptique», Michel Danthe n’en est pas là: «Qu’est-ce que croire? C’est complexe; à vouloir y mettre de l’ordre, on court au désastre. La foi reste un mystère.» Des signes, parfois: ses larmes soudaines en commentant, à la Faculté, le passage de la Chronique de Narnia qui l’avait déjà bouleversé à Oxford. Le rationaliste invétéré s’amuse de cette émotivité inexplicable, lui dont l’intellect voudrait en toute circonstance rester le maître.

Ce qui ne l’empêcha pas de s’intéresser naguère au New Age, à Gurdjieff… tout en planifiant ses études de lettres en vue du débouché sûr: prof d’allemand. Mais amour et amour de l’art le déroutèrent. Rencontrant son compagnon, l’étudiant devint critique de cinéma au journal gauchiste Tout Va Bien. Paradoxal: l’homme de droite gradait à l’armée. Il rejoignit ensuite le Journal de Genève, puis Le Nouveau Quotidien, où dix-huit mois de stakhanovisme l’épuisèrent.

Danthe franchit la Sarine, responsable de la communication de l’Aide suisse contre le sida à Zurich, puis rédacteur en chef de Construire; là aussi, il grade: patron de toute la presse Migros, cours à Harvard, promesses de carrière… brisées par une révolution de palais. Il regagne Lausanne, dirige Le Matin Dimanche, passe au Temps.

Soumis à la rationalité de l’entreprise, j’avais licencié sans états d’âme.

De technocrate à syndicaliste

Et là, révélation humaniste: sauvé par une action de la Société des rédacteurs lors d’une vague de licenciements, l’ex-apparatchik mène le combat syndical lorsque L’Hebdo est fermé et Le Temps menacé. «Fidèle serviteur de la technostructure pendant trente ans, je connaissais le fonctionnement des dirigeants: j’en avais été un; soumis à la rationalité de l’entreprise, j’avais licencié sans états d’âme. J’ai soudain ouvert les yeux sur une autre rationalité, celle des vies humaines. Compris qu’on pouvait faire autrement. J’étais possédé, nous avons remué ciel et terre et obtenu de bonnes conditions.» Pour finir, il s’inscrit sur la liste des licenciés: il a 61 ans, un troisième pilier et «envie d’approfondir enfin ce que j’avais quitté à vingt ans». Lévitique, la boucle est bouclée.

Epiphanies

«Notre existence – la mienne en tout cas – est parfois traversée par des instants où l’on a le sentiment d’entrevoir quelque chose qui dépasse le quotidien dans lequel la vie nous a insérés. James Joyce appelait cela une épiphanie. Ce sont des épiphanies de cette sorte – une seconde d’un film de Wim Wenders consacré au cinéaste Yazujiro Ozu; l’épisode du lampadaire dans Narnia; certains témoignages de choristes tirés d’un documentaire sur les Thomanerchor de Leipzig – qui constituent pour moi ces moments limites où la raison raisonnante perd pied. Et où l’émotion qui submerge fait signe vers autre chose.»

Bio express

Michel Danthe est né à Lausanne le 10 octobre 1956.

1978 Vit (appartements séparés et refuge commun en France voisine) avec Pierre Biner, acteur, membre du Living Theatre, critique de cinéma, auteur, journaliste et producteur à la TV romande.

1991 Le Nouveau Quotidien.

1993 Construire.

2004 Matin Dimanche.

2011 rejoint Le Temps.

2017 Bataille de L’Hebdo, premier zona. Entre en théologie.

2021 Passe son permis de conduire, deuxième zona.