Josiane André:«Chaque catastrophe est différente»

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Josiane André:«Chaque catastrophe est différente»

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A 80 ans, la fondatrice de l’ONG chrétienne Medair a vécu bien des crises humanitaires. Elle voit dans la pandémie que le monde traverse une opportunité de réveil, y compris pour l’Église.

Les soins intensifs. Pour Josiane André, le déclic est venu de là. On a beaucoup parlé de ces services cruciaux durant le pic de pandémie de coronavirus: le nombre de respirateurs par nombre d’habitants, les compétences du personnel capable de les manipuler. Justement, Josiane André était de ceux-là. Non sans questionnements. «Je me disais, on dépense 1500 fr. par jour pour garder une personne en vie sous respirateur, parfois avec un cerveau qui n’a aucune chance de revenir. Et avec quelques francs, on peut soigner un réfugié! Ça n’était pas juste, mon esprit était déchiré.» Elle est alors âgée de 40 ans, médecin, et cible d’alléchantes propositions professionnelles. Elle n’hésite pas une seconde pour les décliner. S’ensuivra une décennie d’engagements humanitaires. En route, elle rencontre celui qui sera son époux. Entre 1984 et 1988, elle travaille avec lui dans un hôpital missionnaire, au Tchad. La situation est préoccupante. «A la guerre s’ajoutait la famine.» A cette occasion, «avec une série de partenaires et amis qui travaillent sur place, nous essayons de faire face, mais nous nous heurtons à nos limites». Naît alors l’envie de créer une association pour «agir dans les situations d’urgence envers tous ceux dans la détresse, non seulement par des paroles, mais d’abord par des actes d’amour et une éthique chrétienne». A l’origine, l’idée est «de se concentrer sur les appels des missions chrétiennes en difficulté». Mais très vite, l’ONG grandit et se tourne vers tout le monde. Elle deviendra «l’enfant» de Josiane André, qui ne souhaite pas évoquer plus en détail sa vie privée. 

En 2018 (chiffres consolidés les plus récents disponibles, NDLR), Medair basée à Lausanne, a assisté de façon directe 2 585 964 personnes dans le monde, avait 119 employés à plein temps au siège à Ecublens, 196 expatriés travaillant sur le terrain et 1182 équipiers locaux dans ses pays d’intervention. L’éthique d’origine est restée. 

Ces principes chrétiens, Josiane André ne les tient pas de nulle part. Son père, commerçant vaudois et évangélique, fonde après-guerre des maisons pour accueillir des enfants ayant souffert de famine dans le Jura vaudois (Fondation Le Grain de Blé qui existe toujours). A côté de ses études, elle s’occupera des jeunes durant près de deux décennies. 

Dans la famille vaudoise de six enfants où elle grandit, Josiane se forge de solides convictions protestantes. «Etre chrétienne? Pour moi, ça n’a jamais changé: avoir confiance en Dieu, des paroles droites, pratiquer la justice, le réconfort. » 

J’espère que la pandémie que nous vivons servira de réveil pour nos Eglises

Des principes qui la guident toujours aujourd’hui. Bien que confinée comme tout le monde pour cause de coronavirus, elle rentre tout juste… d’un voyage au Bengladesh pour les donateurs de Medair, dans l’un des plus grands camps de réfugiés au monde, où vivent des Rohingyas. 

C’est pour ces populations et celles de grandes villes africaines qu’elle craint en particulier le coronavirus. «Ils sont serrés comme pas possible. Même crainte pour les bidonvilles dans les pays fragiles.» Seul espoir: «En Afrique, les populations sont plus jeunes (le virus semble épargner la plupart des enfants, NDLR).» 

S’il y a bien une chose que Josiane André retient de la gestion de crises, c’est qu’il n’existe pas de recette miracle. «Chaque catastrophe est différente. On ne peut pas comparer. Bien sûr, les retours d’expérience de Chine, qui a géré le Covid-19 en premier, peuvent nous aider. On apprend à chaque fois. Chaque pays a ses tabous, ses cultures, ses habitudes.» 

Mais elle sait aussi «qu’on peut faire beaucoup avec peu. Et ‹que› la formation des personnes sur le terrain est essentielle ‹…› on peut aller jusqu’à communiquer des messages à des personnes illettrées!» Vital, lorsque le personnel spécialisé manque! 

En attendant, Josiane André s’attelle à la formation en Suisse. En plongeant par exemple des catéchumènes dans une simulation de situation d’urgence, le temps d’une journée. «J’espère que la pandémie que nous vivons servira de réveil pour nos Églises», observe cette paroissienne réformée de La Tour-de-Peilz. «Il n’y a plus aucun jeune sur les bancs. Il est temps de stimuler la jeunesse… et cette pandémie montre que cette jeunesse est réceptive.» 

Bio express

1940 A 12 ans, une parole biblique la frappe: «car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera» (Marc 8:35).

1959 Etudes de médecine, rare pour les femmes à cette époque.

1970 Formation en réanimation, crise de pleurs en découvrant l’épidémie de choléra qui touche le Bangladesh.

1980 Première mission humanitaire. 

1989 Fondation de Medair

Citation

«Ce qui me fonde et qui a fondé Medair, c’est la volonté d’agir dans le monde entier et envers tous ceux dans la détresse, non seulement par des paroles, mais d’abord avec des actes d’amour et une éthique chrétienne.»