Des ONG face à l’embargo sur Cuba
Arrivée à Cuba début février, Lindi Michel, envoyée de DM, entame plusieurs trajets à travers le pays qui compte 11 millions d’habitants. Sa mission consiste à accompagner trois institutions partenaires. Depuis les années 1990, l’ONG lausannoise collabore avec l’Eglise presbytérienne réformée, qui compte des paroisses sur toute l’île, et le séminaire théologique de Matanzas, qui propose des formations œcuméniques. S’y ajoute le centre Kairos pour la liturgie, plus axé sur les arts et les services sociaux, fondé par une Eglise baptiste. «Outre les formations théologiques et bibliques, nous accompagnons les personnes précarisées, en particulier les plus âgées, nombreuses à être en difficulté. Et nous développons des projets d’agro-écologie: les potagers urbains et semi-urbains représentent un vrai enjeu à Cuba», explique Anne Roulet, responsable des programmes pour ce pays chez DM.
L’embargo imposé par les EtatsUnis à son voisin n’a jamais empêché ces projets. «Un bureau helvétique de la Direction du développement et de la coopération (DDC) existait à Cuba jusqu’en 2024, date du retrait de la DDC d’Amérique latine.»
Fonds bloqués
Les transferts financiers, eux, sont impossibles. «Aucune banque n’accepte d’envoyer des fonds à Cuba. Et tout transfert d’argent comportant l’intitulé ‹Cuba› – même entre deux entités helvétiques en Suisse – peut se retrouver bloqué», explique Anne Roulet. La solution pour acheminer les 50'000 francs par an qui financent – entre autres – les programmes de DM, les salaires, les frais généraux et la coordination? «On doit les apporter nous-mêmes. Le souci constant consiste à trouver suffisamment de personnes qui voyagent sur place chaque année.» Les proches des envoyés de DM sont ainsi mis à contribution, mais parfois aussi des partenaires qui viennent se former en Europe ou leurs proches.
«Nous emmenons directement des fonds récoltés ici lors d’actions pour le peuple cubain – dans la limite autorisée, qui est de 5000 francs. Lors de mon dernier voyage, j’ai apporté de l’argent liquide et acheté de la nourriture sur place, sous forme de protéines, destinés à un home pour personnes âgées. C’est un système très aléatoire, car l’aide, pour arriver sur place, dépend du fait qu’une personne de notre réseau s’y déplace», déplore Miriam Herranz, de l’association Suisse-Cuba. Cette dernière collabore avec mediCuba-Suisse, ONG qui s’est spécialisée dans l’envoi de matériel médical sur place. Proche, sur le plan des valeurs, du régime de La Havane, l’Association Suisse-Cuba milite aussi en Suisse pour faire connaître le principe de l’extraterritorialité. Contraire, selon certains, aux Conventions de Genève, il permet aux Etats-Unis de sanctionner les entreprises étrangères qui ne respectent pas l’embargo. Un assouplissement conséquent a eu lieu sous l’ère Obama, aidant le tourisme à décoller. Mais l’embargo le plus long de l’Histoire devrait à nouveau se durcir sous le mandat de Trump, qui, lors de sa première présidence, avait coupé court à l’assouplissement entamé par son prédécesseur.
«Les sanctions réussissent en général quand elles sont de courte durée et bien ciblées», rappelle Valerio Simoni, chercheur à l’IHEID (Genève) et affilié au Centre Albert Hirschman sur la démocratie. Au contraire, cet embargo est devenu un marqueur politique pour les deux pays. «Cette mesure offre une justification très claire face à toutes les difficultés auxquelles le pays et sa population sont confrontés», reconnaît le chercheur. Et au quotidien, l’inflation se poursuit. «Aujourd’hui, constate Anne Roulet, en apportant la même quantité de devises qu’en 2022, on peut se procurer deux fois moins de biens.»