A Philadelphie, la renaissance d’un christianisme social
«Normalement, pour Pâques, pour la Fête des mères, on aurait organisé des jeux, des distributions de cadeaux et partagé un grand repas entre tous les voisins.» Au téléphone, Caz Tod-Pearson raconte comment l’arrivée du coronavirus a perturbé la vie du quartier de Kensington, à Philadelphie. Ici, tout se fait en communauté et tout le monde s’entraide. Kensington est l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Certains l’appellent «la mauvaise terre», ceux qui y vivent parlent de «famille». Simple Way (La Voie simple), c’est la communauté fondée il y a 25 ans par Shane Claiborne, prêcheur évangélique. «Le quartier a été sévèrement touché par la crise économique. On a pu racheter des maisons abandonnées, parfois pour un dollar», explique Shane, «on a créé des jardins, planté des légumes, peint des fresques». Il dit avoir été inspiré par «les premiers chrétiens qui partageaient tout, priaient ensemble et ne détenaient aucune propriété».
Une conception politique de la religion
A 43 ans, ce jeune activiste fait partie de cette nouvelle génération de chrétiens évangéliques engagés pour la justice sociale, contre les armes à feu, la peine de mort ou encore l’incarcération de masse. Pour lui, aimer son prochain signifie «se battre contre les politiques et systèmes d’oppression qui créent la souffrance de mon voisin». Des convictions loin de celles des évangéliques conservateurs, qui tiennent les devants de la scène aux Etats-Unis.
«A l’origine, ‹évangélique› veut dire celui qui proclame l’Évangile, la Bonne Nouvelle», rappelle Shane, «de l’idée que Jésus a apporté la Bonne Nouvelle aux pauvres». «Mais aujourd’hui, quand on entend le mot ‹évangélique›, on pense plutôt à de mauvaises nouvelles, surtout pour les pauvres», ajoute-t-il en riant de bon cœur. Il dit regretter que les évangéliques conservateurs se soient attribué cette étiquette. «J’ai l’impression qu’aujourd’hui, certains chrétiens sont plus fidèles au parti républicain qu’ils ne le sont envers le message de Jésus.»
L’évangélisme au pouvoir
Ayant grandi lui-même dans cette fameuse «Bible Belt» (Groupe d’États conservateurs du Sud, NDLR) où le président Trump bénéficie d’un grand soutien, Shane dit ne pas comprendre que 77% des évangéliques déclarent voter pour lui et va jusqu’à dire que «l’évangélisme a été colonisé par un groupe d’hommes blancs et riches qui en ont fait un outil politique». Il appelle cela «l’évangélisme trumpiste».
Citant Mère Teresa (aux côtés de qui il a travaillé dix ans) ou Martin Luther King Jr., Shane souligne l’importance aujourd’hui, «plus que jamais, de ne pas fermer les yeux». «Ce n’est pas une question de gauche ou de droite. Républicain ou démocrate. C’est une question de bien ou de mal», défend-il.
Shane est d’autant plus «triste de voir ce qui se passe» que la communauté de Simple Way est composée en grande partie d’Hispaniques, d’Afro-Américains, d’Asiatiques… Et la grande partie de son travail est dédiée à ces communautés-là, aux SDF et aux autres défavorisés. Des populations aujourd’hui largement touchées par le coronavirus qui, ici aussi, agit comme un puissant révélateur d’inégalités sociales. «Je crois que les premiers évangéliques ne se reconnaîtraient pas dans ce qu’est devenue la religion aujourd’hui», conclut-il.
A suivre
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