Le tableau contrasté de l'enseignement religieux à l'école
Jusqu’au début des années 1970, l’enseignement de la religion allait de soi et constituait un pilier indiscutable des programmes scolaires romands. Il a été ensuite fortement remis en question en raison du courant d’émancipation de l’individu face à l’autorité scolaire et ecclésiale. Le développement de la mixité religieuse, dans des sociétés jusque-là homogènes, mais aussi des intégrismes et du terrorisme à connotation religieuse ont provoqué un net regain d’intérêt à partir des années 1990. Les dangers de l’ignorance croissante de la culture religieuse ont remis alors en évidence la nécessité de maintenir ou de réintroduire la transmission du fait religieux. Les milieux politiques et pédagogiques ont réaffirmé l’importance de la connaissance mutuelle. Permettre aux enfants chrétiens d’avoir une bonne information sur l’islam ou le bouddhisme et permettre aux enfants issus d’autres cultures religieuses de découvrir l’horizon chrétien peut largement contribuer au vivre ensemble. L’intérêt d’un enseignement biblique et interreligieux de qualité pour tous s’est ainsi largement imposé, sauf dans quelques milieux traditionalistes ou intégristes.
En matière d’enseignement religieux, chaque canton reste maître chez lui
Le plan d’études romand (PER) adopté par la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande (CIIP) prévoit dans le cadre des sciences humaines et sociales un programme intitulé Éthique et cultures religieuses (Eth-CR). Mais chaque canton reste néanmoins libre de décider de la manière et de l’intensité avec laquelle il entend le mettre en œuvre. D’où des disparités assez importantes entre les cantons selon leur situation religieuse et historique.
Le cours éthique et cultures religieuses se distingue fondamentalement d’un enseignement religieux (catéchèse) qui vise à l’approfondissement d’une foi. Il est un lieu d’information et de connaissance factuelle sur les grandes traditions religieuses et humanistes mondiales, explique le PER. Il se donne trois objectifs: transmettre des connaissances, permettre à chacun de trouver ses racines et favoriser le vivre ensemble par une éducation aux valeurs. Cette vision implique que tous les enfants y sont astreints, indépendamment de leur religion ou de leur confession, sans possibilité de dispense. Elle permet aussi que cette matière soit évaluée par des notes comme les mathématiques ou l’histoire.
De son côté, la catéchèse confessionnelle présuppose la foi des destinataires. Elle conduit à l’approfondissement de la foi à travers l’enseignement, mais aussi la prière, la liturgie, les sacrements, le service des pauvres ou le témoignage de vie. Elle vise l’intégration dans une communauté. Elle est assurée, là où elle existe, par des catéchistes mandatés par les Églises.
Une offre différenciée
Force est de constater que dans le domaine de l’enseignement religieux scolaire, les cantons romands présentent une offre assez différenciée. Bref tour d’horizon pour l’école primaire (1ere-8e Harmos).
Dans sa nouvelle Constitution de 2004, le canton de Fribourg prévoit à son article 64 que «les Églises et les communautés religieuses reconnues ont le droit d’organiser un enseignement religieux dans le cadre de l’école obligatoire», rappelle Daniel Denis, directeur du Service de la catéchèse de l’Église catholique fribourgeoise. Cet enseignement est donné par des catéchistes professionnels ou bénévoles mandatés par les paroisses. Leur formation est assurée par les Églises. Ils sont actuellement environ 500 pour l’école primaire. À cette heure de catéchèse confessionnelle, s’ajoute une période d’éthique et de cultures religieuses selon le PER assumée par les enseignants. Les petits Fribourgeois sont ainsi les mieux dotés en matière d’enseignement religieux.
Collaboration Eglises-Etat en Valais
Le canton du Valais prévoit à l’école primaire 1,5 période hebdomadaire d’éthique et cultures religieuses donnée par l’enseignant ou par un intervenant paroissial, explique Christophe Pont, responsable de l’enseignement religieux scolaire pour le diocèse de Sion. Le Valais a ajouté au programme PER des précisions cantonales mettant un accent plus chrétien. Dans nombre de paroisses, l’enseignant de cultures religieuses a également la charge de la catéchèse paroissiale où il retrouvera les mêmes enfants. Selon Christophe Pont, ce double engagement ne pose pas de problèmes. Les catéchistes formés par le diocèse sont conscients de leur devoir de neutralité en milieu scolaire, d’autant plus que dans certaines classes, les enfants chrétiens ne sont plus majoritaires. Au cours de l’ensemble de la scolarité, les Églises disposent encore de sept journées d’activité appelées «fenêtres catéchétiques».
Le Jura, dernier canton «catholique», prévoit depuis 1990 déjà un cours d’histoire des religions, d’une période par semaine au primaire, donné par l’enseignant. Le canton offre aux enseignants des modules de formation spécifiques. La catéchèse relève de la responsabilité des paroisses et se passe en dehors du cadre scolaire.
Dans le Jura bernois, à majorité protestante, les élèves d’école primaire disposent d’un cours Éthique et cultures religieuses donné par les enseignants.
Nouvelle dotation pour le canton de Vaud
Le canton de Vaud a introduit depuis la rentrée 2018, pour toute l’école primaire, 15 périodes annuelles d’un cours d’Éthique et cultures religieuses selon le PER. Ce cours remplace celui d’histoire biblique. Cet enseignement dispose désormais d’un cadre clair en particulier sous l’angle de la dotation horaire et du renforcement de l’enseignement en éthique. Des modules de formation des enseignants sont aussi proposés dès cet automne. À noter que les Églises ont été associées à la réflexion sur la mise en place de ce cours.
Pas d’enseignement religieux spécifique dans les cantons laïques
À Neuchâtel, l’enseignement religieux ne fait pas partie de l’enseignement obligatoire en raison de la séparation de l’Église et de l’État. La thématique est abordée dans le cadre des cours d’histoire. Mais depuis 2003 un enseignement des cultures religieuses et humanistes a été introduit dans le cadre du cours d’histoire pour les années 8 à 10 de la scolarité obligatoire et de citoyenneté en 11e année. La catéchèse est dispensée hors du cadre scolaire, mais la Constitution cantonale prévoit que les écoles collaborent avec les Églises reconnues en mettant gratuitement à disposition des locaux pour l’enseignement religieux.
Laïcité de l’État oblige, Genève n’a pas non plus de cours spécifique de cultures religieuses. La question agite cependant le bout du lac depuis pas mal de temps. Elle a resurgi en 2017 avec la discussion sur la nouvelle loi sur la laïcité. Le Département de l’Instruction publique entend dynamiser l’enseignement du fait religieux, sans toutefois en faire une branche spécifique. Ses divers aspects seront abordés dans le cadre de l’histoire et de l’éducation à la citoyenneté. Les enseignants auront à disposition un dossier pédagogique, tandis qu’un site internet est en cours d’élaboration. «Le fait religieux doit être abordé comme une réalité historique pour comprendre les religions sans jugement et sans prosélytisme», explique Isabelle Vuillemin, directrice du Service de l’enseignement.
Les Éditions AGORA
La plupart, si ce n’est la totalité, des cours d’Ethique et cultures religieuses des cantons romands s’appuient sur le matériel et les ressources pédagogiques fournis par les éditions Agora (anciennement ENBIRO). L’association ENBIRO (Enseignement biblique romand) a été fondée en 1967 par les Départements de l’instruction publique des cantons de Vaud, Fribourg et Berne (qui comprenait alors l’actuel canton du Jura) ainsi que par les Églises catholique romaine, catholique chrétienne et protestante de la plupart des cantons romands. À l’époque, la quasi-totalité de la population suisse se déclarait chrétienne. Les moyens d’enseignement publiés jusqu’aux années 1980 visaient avant tout à transmettre des connaissances à la fois historiques et culturelles sur la Bible.
Dans les années 1990, dans une société toujours plus sécularisée, ENBIRO s’est ouvert à d’autres courants présents dans la société en éditant notamment un «Calendrier interreligieux». Les éditions ont également entrepris la refonte de l’ensemble de leurs moyens d’enseignement. En 2013, pour mieux manifester cette ouverture, ENBIRO prend le nom d’AGORA. Aujourd’hui, elle propose une collection complète de moyens d’enseignement qui respectent les objectifs du PER à travers la collection À la découverte des religions. (Maurice Page/cath.ch)