Que révèle La pêche miraculeuse de Konrad Witz ?

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Que révèle La pêche miraculeuse de Konrad Witz ?

Laurence Villoz
9 avril 2013
Genève - Fraîchement rénovée, La pêche miraculeuse de Konrad Witz a fait couler beaucoup d’encre. Pièce maîtresse de la peinture occidentale*, réalisée au XVème siècle, elle recèle plusieurs récits évangéliques. Le pasteur Vincent Schmid de la cathédrale Saint-Pierre de Genève nous emmène la découvrir.

En s’approchant du tableau, le spectateur peut découvrir le lac Léman peint depuis Genève, la colline des Voirons sur la gauche, le Môle au centre devant les neiges du Mont-Blanc et le petit Salève sur la droite. «La singularité de La pêche miraculeuse réside dans son réalisme», explique Vincent Schmid.

Deux scènes bibliques

Le spectateur sera peut-être surpris par la double représentation de Pierre, sur la barque et dans l’eau. «Le tableau combine deux récits évangéliques: l’apparition de Jésus au bord du lac (Jean 21) et Jésus marchant sur les eaux (Matthieu 14). C’est une manière courante chez les peintres médiévaux de raconter plusieurs histoires à la fois et de représenter deux fois le même personnage», explique le théologien.

Si le lac fait partie des deux scènes représentées, c’est «un élément central de la scénographie évangélique». «Il se pourrait que cette omniprésence du lac nous dise quelque chose du «Jésus de l’histoire». Peut-être a-t-il existé une source orale spécifique, un «Evangile du lac» que chaque évangéliste aurait plus tard décliné à sa manière dans son récit», s’interroge le théologien. «La synthèse géniale de Konrad Witz le laisse imaginer».

Le lac représenté par Konrad Witz peut symboliser le lac de Génésareth appelé aussi mer de Galilée ou lac de Tibériade dont les rives sont fertiles et les eaux poissonneuses, «comme le lac Léman». Symboliquement, le théologien comprend les eaux du lac comme une représentation du monde des hommes. Un monde précaire, mouvant, ambivalent. L’homme peut s’y noyer ou mourir de faim pendant la traversée. Seule la barque de l’Eglise offre une protection.

Trois rôles pour Pierre

«Il n’est pas indifférent que ce tableau ait été peint pour l’évêque de la cathédrale de Genève, du nom de Saint-Pierre comme le personnage centrale Pierre», relève Vincent Schmid. Il est représenté deux fois. Mais selon le théologien, il incarne 3 rôles: Pierre à la pêche, Pierre implorant le salut (Matthieu) et Pierre confessant le Christ (Jean), «donc Pierre dans son humilité».

Au premier plan, le Christ porte un manteau rouge, la couleur de la papauté. «Les cardinaux, censés donner leur vie et leur sang pour le Christ, sont entièrement vêtus de rouge à partir du milieu du XIIIe siècle», précise Vincent Schmid. «Il offre une impression de puissance inébranlable en contraste avec l’univers mouvant du lac. Le tableau accentue la distance entre la divinité de Dieu et l’humanité de l’homme, aboutissant presque à une forme d’inaccessibilité», interprète le théologien.

Endommagé pendant la Réforme

Le Retable de Saint-Pierre a été réalisé en 1444, avant la Réforme. Initialement, il était composé de quatre tableaux posés au recto et au verso de deux volets se refermant sur une pièce centrale. Le retable a été réalisé pour un des autels de la cathédrale dans «un but pédagogique, esthétique et de glorification». Ouvert, il mesurait près de six mètres. Pendant la Réforme, les visages des personnages religieux ont été détruits. Et la pièce centrale a disparu.

Entre les dommages causés par l’iconoclasme de la Réforme, le passage du temps et des restaurations pas toujours réussies, ce retable méritait de sérieux soins. En juillet 2011, une troupe de spécialistes et d’experts s’attelèrent à cette tâche délicate. Après une année et demi de restauration, le Retable de Saint-Pierre a repris sa place au MAH.

Cette restauration, d’un montant de 200 000 francs, a été possible grâce au soutien de la Fondation Hans Wilsdorf**. Fin 2013, un ouvrage sera publié sur cette œuvre et sa restauration.

**La Fondation genevoise Hans Wilsdorf est propriétaire du groupe d’horlogerie Rolex. En plus d’assurer la pérennité du groupe Rolex, elle s’occupe de soutenir financièrement plusieurs œuvres de bienfaisance, écoles et projets culturels.



La pêche miraculeuse stupéfie
par son réalisme

La pêche miraculeuse, peinte en 1444, doit sa célébrité à la représentation topographiquement correcte d’un paysage. «C’est une des premières représentations réalistes dans l’histoire de la peinture occidentale», relève Vincent Schmid. Cette peinture permet aussi de donner des informations sur la disposition des bâtiments à cette époque.

Konrad Witz a représenté, sur la droite, le Château de l’Ile, l’actuelle place Bel-Air. Et au premier plan, la transparence de l’eau révèle l’existence d’une « carronerie », une ancienne fabrique de briques. «Une carrière d’argile a réellement existé à cet endroit, mais cette représentation confirme la présence d’une carronerie», sourit Vincent Schmid.

Au loin sur les rives du lac, des petits personnages sont peints «avec beaucoup de réalisme» et les jambes de Pierre, en soutane sombre, représenté deux fois, apparaissent en transparence sous l’eau. «L’utilisation de la diffraction de la lumière est aussi une nouveauté pour l’époque», relève cet homme d’une soixantaine d’année.Où voir La pêche miraculeuse ?

  • Musée d’art et d’histoire (MAH), Rue Charles-Galland 2, 1206 Genève
  • Ouvert tous les jours de 11h à 18h, sauf le lundi.
  • Entrée libre aux collections permanentes.
  • Entre cinq et vingt francs selon les expositions, entrée libre jusqu’à dix-huit ans et le premier dimanche du mois.
  • www.ville-ge.ch/mah