Dépasser la fatigue de la pensée

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Dépasser la fatigue de la pensée

Marion Muller-Colard
Labor et Fides fête ses 100 ans en lançant «Qu’est-ce que ça change?», une collection qui invite à une réflexion courte, ouverte et engagée sur un thème précis. Retour sur cette démarche «très protestante» avec la directrice Marion Muller-Colard.

La vie, l’origine, mais aussi la ferveur… Comment avez-vous choisi les thématiques de ces ouvrages?

Elles viennent des auteurs, et c’est toujours un pari! Mais les premiers textes reçus sont tous entrés dans la dynamique de cette collection, une sorte de ligne tendue de réflexion, qui exige une réponse de la part d’un auteur. L’Origine, qu’est-ce que ça change ?… selon François Ansermet. Ce «selon» dans le titre, nous y tenions. C’est une manière de faire descendre les auteurs de leur piédestal. Il y a souvent dans le monde des idées une prétention au savoir absolu, à l’objectivité, comme si l’on pensait de manière désincarnée. Ici, nous assumons la subjectivité, exprimée dans ce «selon». C’est une marque d’humilité pour l’auteur et d’hospitalité envers le lecteur, invité à penser avec cet auteur-là.

Vous avez expliqué dans un entretien observer notre modernité «épuisée de penser»: qu’entendez-vous par là?

On reçoit beaucoup d’informations, d’injonctions. On est rarement invités à penser sans un prérequis, des connaissances. En ça, «Qu’est-ce que ça change?» est la collection «anti-Que sais-je?». L’enjeu n’est pas de «tout savoir sur l’origine», par exemple. Plutôt: que serait un monde sans origine? Sans ferveur? Sans foi?

On détourne la question désabusée «Qu’est-ce que ça change?» pour en faire une vraie interrogation à laquelle l’auteur ne peut pas se dérober. Je voulais inverser la pente glissante du cynisme, qui contribue à laisser orphelin de sens et d’engagement. J’aime bien ce que Frédéric Worms, un des auteurs, dit de la collection: «ça interdit l’indifférence».

Pas d’indifférence… mais pas de réponse définitive non plus!

Les vagues d’informations nous submergent. Je souhaitais plutôt offrir une halte, une île. Ce qui nous épuise, c’est la nécessité de prendre position. Comment, au contraire, être sollicité par une pensée qui ne conduit pas nécessairement à trancher par une opinion, revendiquer le droit à suspendre son jugement, prendre le temps de cheminer dans un espace de médiation entre soi et le monde? Cet espace entre soi et cette déferlante agressive d’informations, d’injonctions à se positionner, le livre l’offre magnifiquement.

Y a-t-il un lien entre cette collection et l’identité protestante de Labor et Fides?

L’éthique protestante, c’est de revenir aux sources, aux fondamentaux. «Qu’est-ce que ça change?», c’est une question fondamentale! Le livre comme seul médiateur, c’est aussi très protestant. La Réforme, c’est refuser un prêt-à-croire prescrit par des figures autorisées. Ici, le livre n’est pas un prêt-à-penser: l’auteur ne prescrit pas, il invite.

Pourquoi avoir misé sur ce format court, qui se lit «le temps d’un trajet en train»?

Il faut pouvoir creuser des sujets sur le temps long – et Labor et Fides reste une maison de pointe dans le domaine académique. Mais là-dessus peuvent se greffer d’autres expériences de lecture. Pour nos 100 ans, nous proposerons les deux. Nous publierons des trésors du passé: un inédit d’Ellul, des classiques d’Eric Fuchs, Lytta Basset, Pierre Gisel, figures qui marquent la théologie protestante et au-delà, et n’en finissent pas d’être actuelles. Et nous poursuivrons nos impulsions vers l’avenir avec de jeunes auteurs et cette nouvelle collection.

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Marion Muller-Colard Théologienne, directrice des éditions Labor et Fides
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«Penser sans tourner en rond avec une ligne de départ et d’arrivée», c’est l’objectif de la nouvelle collection Qu’est-ce que ça change?, de Labor et Fides, dirigée par Marion Muller-Colard et Carole Widmaier. François Ansermet inaugure cette série de réflexions aussi jubilatoires que vertigineuses. Ce psychiatre et enseignant qui a réalisé une grande partie de sa carrière aux hôpitaux universitaires de Genève s’est spécialisé dans le développement du nourrisson et de l’enfant, et la procréation médicalement assistée. C’est donc à travers ce prisme qu’il propose un parcours de pensée vif, élégant, audacieux sur une obsession très contemporaine: les origines. Mais sa réflexion ne se limite pas aux enjeux éthiques de la génétique et des sciences du vivant, elle intègre la philosophie, les arts, pose la centralité de la mort.

Deux repères centraux permettent de penser l’origine pour l’auteur: le désir, qui permet de se défaire de bien des pièges, et de se focaliser par exemple sur le souhait de maternité d’une femme seule, plutôt que sur l’identification des donneurs de gamètes ayant permis la conception de l’enfant. L’autre point cardinal est «le devenir», qu’il se fasse «selon ses choix ou à son insu», précise l’auteur. Qui conclut son exploration par une idée forte: «L’enjeu est de laisser le ‹trouver› prendre le pas sur le ‹chercher›.»

L’Origine, François Ansermet, Labor et Fides, collection Qu’est-ce que ça change?, 2024, 87 p.

Dans la même collection: Le Cerveau par Alexis Jenni et La Promesse par Carole Widmaier.