On ne parle pas de religion ou de politique à table
«Lorsque l’on est ensemble pour vivre un moment de convivialité, il faut éviter les sujets qui mènent inévitablement à un débat», prévient Bernard de Muralt, à Fribourg, auteur d’Usages du monde. Le savoir-vivre dans un monde sans frontières (aux éditions Licorne, 2009). «A table, les convives deviennent une audience captive. Impossible de s’éloigner ou d’éviter un sujet», renchérit Viviane Néri, de l’Institut Villa Pierrefeu, école internationale de savoir-vivre et de protocole international située à Glion, dans les hauts de Montreux.
De manière générale, on évitera tous les sujets qui peuvent provoquer une discussion un peu vive au sein d’un groupe ou même ennuyer les autres convives: «Outre la religion, je pense aussi à la politique et aux questions sentimentales. On ne monopolise pas la parole après une rupture», prévient Bernard de Muralt. «Il en va de même pour les questions de santé. Si votre conjointe n’a pu se joindre à vous, mieux vaut se contenter d’un ‹elle ne se sentait pas bien› que de présenter un bulletin de santé complet avec force de détails», enchaîne l’expert, qui recommande de privilégier les sujets plus consensuels, tels que les loisirs, les activités sportives ou les vacances, par exemple.
Accepter les désaccords
«Il y a des gens qui portent la foi comme un étendard: si vous vous retrouvez à table avec des Evangelicals américains, vous allez forcément entendre parler de religion», donne comme exemple Viviane Néri. « Au contraire, pour d’autres personnes, la foi fait partie de l’intime. En tant qu’école internationale, nous nous adressons à des personnes venues du monde entier. Nous essayons donc de les rendre particulièrement attentives aux diverses sensibilités culturelles afin d’anticiper et d’éviter les situations qui pourraient conduire à des conflits ou malentendus», explique la spécialiste de l’art d’être un ou une hôte modèle. «Cela nous conduit parfois à accepter des positions différentes, ce qui ne signifie pas obligatoirement de les partager. En anglais, on utilise l’expression ‹agree to differ›: convenir d’un désaccord, pour mettre fin à une discussion qui ne permettra pas de parvenir à une position commune. Je regrette que cette capacité semble ne plus aller de soi: au nom de la tolérance et du respect de chacun, l’on devient intolérants vis-à-vis des idées d’autres personnes. Souvent au nom de questionnements qui agitent un peu notre société européenne, mais qui ne viendraient même pas à l’esprit de personnes d’autres régions du monde.»
Et ce n’est pas uniquement dans les dîners mondains que la religion n’est pas la bienvenue: selon une étude menée en France en octobre 2023, 46% des répondants ont jugé «taboue» une discussion sur la religion ou la laïcité lors d’une pause-café sur le lieu de travail.
Pas question toutefois de faire de ce sujet un interdit absolu: «Les conseils que nous prodiguons concernent des situations dans lesquelles les gens ne se connaissent pas forcément bien. Mais tout dépend des dynamiques. C’est vraiment une question de sensibilité. Avec des amis dont vous êtes proches, cela peut ne pas poser de problème», note Viviane Néri. «Si l’on est de la même religion et que c’est quelque chose qui nous réunit, cela va très bien d’en parler à table», confirme Bernard de Muralt. Réformé, il est membre de l’Ordre de Saint-Jean. «La devise ‹Tuitio fidei et obsequium pauperum› (Défense de la foi et service aux pauvres) nous engage à en témoigner au quotidien», dit-il pour conclure.