Que nous dit la Bible des limites?
De la Genèse, qui trace des limites entre le ciel et la terre, à Jésus traversant la mort, en passant par les commandements donnés à Moïse, la question de la «limite» est centrale dans les textes bibliques. Souvent, les limites divines sont celles qui permettent à la liberté humaine de se déployer. Ainsi, les dix commandements, qui permettent l’organisation de la vie communautaire, peuvent être lus «dans une perspective de libération de l’humain», explique Janique Perrin, pasteure et responsable de la formation d’adultes pour les Eglises réformées Berne-Jura-Soleure. Libération concrète (la sortie d’Egypte, décrite dans le livre de l’Exode). Et symbolique.
La liberté, dans la tradition réformée, se comprend comme «un don, limité par le seul qui soit vraiment libre: Dieu», poursuit la docteure en théologie. Dieu offre à l’humain une existence libre. En le reconnaissant comme seul créateur de sa vie, l’humain s’affranchit des contraintes et des pouvoirs humains, analyse Janique Perrin. Il peut se sentir libéré des dimensions de l’existence qui le dépassent.
Un Dieu illimité et infini, mais en relation
Le Psaume 102, d’une personne à bout de forces louant Dieu «qui reste Dieu de siècle en siècle», et le Psaume 121, d’une personne qui voit en Dieu un secours «dès maintenant et pour toujours», racontent la faiblesse humaine. «Le premier texte montre le contraste entre un Dieu infini et un humain qui aimerait l’être, mais en est loin. Le second énumère tous les obstacles que connaît un pèlerin: sommeil, entraves, chaleur accablante. Seul Dieu peut l’aider à les surmonter sans failles. Pour faire face à nos difficultés, nous appelons à l’aide, nous avons besoin de quelqu’un d’autre, de solidarité», analyse le pasteur et théologien genevois Marc Pernot, créateur du site jecherchedieu.ch.
En même temps, le Psaume 8 souligne que l’humain est «presque» l’égal des anges. «Tout est dans ce ‹presque›», pointe Marc Pernot: la création de l’humain est à comprendre comme «Dieu et l’humain ensemble: l’humain ne peut rien sans Dieu et inversement. C’est ce lien fonctionnel, cette relation qui permet d’avancer dans notre lien à nous-mêmes et aux autres», continue le pasteur genevois.
L'humain, imparfait aspirant à l'infini
«Je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas» (Romains 7: 19). Ce verset biblique, qui rappelle la philosophie stoïcienne, d’une modernité déconcertante, pourrait parfaitement décrire nos états d’âme face aux injonctions contradictoires en matière d’écologie, par exemple. «Nous avons des aspirations de bonté et de créativité illimitées. Dieu nous appelle à l’infini, et le don de l’Esprit saint nous donne effectivement quelque chose de l’infini de Dieu», explique Marc Pernot. Cet infini divin donné à l’humain parcourt le texte biblique. «Mais nous sommes pris dans les limites de notre nature humaine – et par notre souci de l’autre. Cette tension en nous, entre la terre et le ciel, me semble féconde», reprend le pasteur.
Limite humaine fondamentale, la mort est signifiée dans les textes bibliques par la mort de Jésus-Christ. «La mort de Jésus nous rappelle que nous n’échappons pas à la mort, qui est un passage obligé. Mais cette limite n’est pas une fin. En effet, la résurrection du Christ ‹explose› les limites de la mort, ouvre des perspectives de vie totalement nouvelles.»
Vivre sans limites, c'est nier l'autre
Impossible de ne pas revenir sur la toute première limite posée aux humains dans la Bible: manger le fruit de la connaissance. «Refuser cette limite, c’est un péché fondamental, c’est se prendre pour Dieu», analyse Marc Pernot. Cet interdit foncier symbolise pour le théologien une limite spirituelle radicale qui s’applique aussi par rapport au prochain. «Aimer, c’est respecter, se soucier de l’autre, ne pas empiéter sur son être. Sans ces limites horizontales, on se développe à l’infini et l’on nie l’autre.»
Les aspirations humaines peuvent aussi cacher une voracité et un désir de domination, comme le rappelle l’histoire du souverain de Tyr (Ézéchiel 28: 1-19), homme riche, puissant, à qui sourit la réussite – l’Elon Musk de son temps? – qui se prend pour Dieu et que Dieu réduit à néant et fait carrément… disparaître! «Garder notre part divine sans nous prendre pour Dieu, voilà l’enjeu», résume Marc Pernot.
Aimer son prochain, c'est sortir de ses limites
Le texte du bon Samaritain (Luc 10: 25-37) raconte comment un étranger, un Samaritain, vient en aide sans préjugé à un blessé, contrairement aux religieux de son époque. Une histoire qui illustre la compassion, la capacité d’accueillir autrui dans sa vulnérabilité… et donc dans ses limites. «L’action n’est pas d’agir bien envers son prochain, mais bien de se faire le prochain de l’autre, d’ouvrir les mains en face de lui ou d’elle pour accueillir sa souffrance et ses limites qui sont aussi les miennes. ‹Aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même›, c’est se reconnaître humblement dans l’autre comme des créatures de Dieu», glisse Janique Perrin.
Les limites humaines sont faites pour être transgressées
Dans les Evangiles, Jésus subvertit régulièrement des faiblesses humaines existantes. Ces dernières construisent un système basé sur une apparente équité et une proportionnalité. «Or Jésus transforme totalement cette logique en permettant à plusieurs reprises à des personnes exclues par le système social (malades, adultères…) de revenir dans la communauté», commente Janique Perrin. «En cela, il déplace les limites de manière explosive et choquante pour son temps.»
De la même manière, dans le texte incorrectement appelé de la «multiplication des pains» (Marc 6: 30-44), Jésus n’ajoute pas de nourriture à celle qui existe déjà, mais, dans un moment où les disciples craignent de manquer, «il introduit une nouvelle logique: celle de la surabondance», interprète la théologienne. Par ses actions, Jésus remet en question les règles des communautés humaines: plus exactement, il «traduit l’action de Dieu dans la réalité de son époque, où il rencontre nos limites et nos impossibilités», estime Janique Perrin.
Faut-il croire en Dieu pour s’intéresser à la théologie?
Réformés vous propose dans cette page une lecture de textes bibliques autour de la thématique des limites.
Qu’est-ce que la théologie chrétienne et notamment réformée?
Une science qui étudie les discours bibliques, et qui essaye «d’approfondir la relation entre l’humain et le divin», comme l’explique Janique Perrin, pasteure responsable de la formation d’adultes des Eglises réformées Berne-Jura. Mais cette discipline ne cherche pas à convaincre que la croyance chrétienne est l’unique voie de salut.
Elle se caractérise notamment par le fait de contextualiser les textes, d’ouvrir la possibilité à plusieurs interprétations (comme les lectures proposées ci-dessus), d’être en dialogue avec son époque.
En ce sens, elle ne s’adresse pas uniquement aux personnes croyantes en Dieu, mais à toute personne intéressée par la relation «entre l’humain et ce qui le dépasse.» En ce sens, la théologie peut être une école d’humanisation.
C’est aussi dans cet esprit que la rédaction invite des théologiens et théologiennes à décrypter l’actualité avec les outils de la théologie. Un rendez-vous que vous retrouvez depuis trois ans sur www. reformes.ch/decryptage.