Rencontrer Dieu au bout du voyage
Israël, Inde, Rwanda, Madagascar… Quand des routards partis au bout du monde reviennent avec la foi dans leur valise.
«On ne peut pas vivre dans une telle indigence et garder le sourire sans croire à quelque chose de plus grand que soi», souffle David Sinnandi. Cet Yverdonnois de 23 ans, étudiant en troisième année de droit à l’Université de Fribourg, se souvient de son expérience dans un mouroir tenu par des sœurs catholiques, en Inde, là où sa croyance en Dieu se déclare sérieusement. «Délaissées par leur famille, gravement malades et très pauvres, ces personnes restaient confiantes. C’est la foi qui les faisait tenir», observe avec émotion le jeune réformé, parti avec une association humanitaire alors qu’il était à peine majeur.
Visiter le monde serait-il propice à se voir visité par Dieu? Partir loin de chez soi semble être en effet le meilleur moyen d’être «déplacé» et de changer de focale, comme en témoigne l’histoire de Mélanie Sinz, 25 ans, employée de commerce dans une entreprise de pompes à chaleur. Pour cette Nyonnaise aussi, le contact avec la misère sera source d’éveil intérieur. Partie au Mozambique en 2017 à l’occasion d’un voyage organisé par l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), la jeune femme, à l’époque, ne croit pas encore en Dieu. Mais à mesure qu’elle creuse un puits ou repeint une chapelle, Mélanie Sinz, au contact de cette population «qui a la foi à fond», ressent alors une forme de choc. «En plus de nombreux témoignages, ce sens aigu de la convivialité et cette façon de tout offrir quand on n’a rien, cela a changé mon cœur», déclare-t-elle.
Selon Frédéric Richard, doctorant et enseignant en anthropologie des religions à l’Université de Lausanne, «les personnes ayant une foi forte peuvent en effet en inspirer d’autres, d’autant plus si cette foi se conjugue à un engagement sur un terrain difficile.» Également responsable de la formation au Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) de Genève, il rappelle notamment que «les grandes figures religieuses de notre époque − l’Abbé Pierre, Mère Thérèsa ou Ghandi − étaient elles aussi connues pour leur engagement humanitaire».
Un hippie devenu pasteur
Pour John Glass, pasteur et fondateur de l’Église évangélique internationale de Genève (EEIG), c’est au bout d’un long road trip entamé à 19 ans que survient, selon cet ex-hippie fumeur de hachich, «un miracle de Dieu». Arrivé en Inde après un passage par la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan, John Glass fait la rencontre d’un missionnaire hollandais. «Quelques minutes de discussion qui ont changé le cours de ma vie, et au bout desquelles j’accepte de me repentir», se souvient-il avec émotion. Et quand cet homme lui parle de Jésus, les images de sa première escale faite en Israël lui reviennent, où la visite du Tombeau du Christ et du mont Golgotha lui avaient causé larmes et frissons, sans explication. «Le Christ, que je vais accepter comme sauveur et seigneur, était alors devenu physique, réel».
La visite de ces lieux saints comporterait-elle des pouvoirs magiques? Frédéric Richard est plutôt d’avis que «cela peut confirmer un processus de conversion: un changement spirituel face à ces lieux ne peut intervenir que si cela s’inscrit dans un imaginaire déjà construit». En effet, John Glass n’était pas étranger au monde chrétien: «Mes parents m’emmenaient chaque dimanche dans une église épiscopalienne. Toutefois, il s’agissait plus d’un club pour les Américains de Genève que d’une vraie communauté de foi. Dans mon souvenir, je n’y ai jamais entendu l’Évangile.»
Le «caté» mais pas la foi
Même constat du côté de David Sinnandi et Mélanie Sinz, qui ont tous deux grandi dans un environnement réformé et suivi leur «caté» jusqu’au bout: pour devenir croyants, eux aussi auront eu besoin de leurs voyages respectifs. «Bien que baptisée et confirmée, je n’étais pas éveillée à la foi» confie la jeune femme. Désormais pratiquante et sur le point d’entamer une formation de diacre, elle précise que son retour à l’église s’est réellement opéré après deux autres expériences africaines, à Madagascar et au Rwanda, où «génocide et pardon sont compatibles grâce au christianisme.»
«La paisible Suisse, où nous jouissons d’un vrai confort matériel, est moins propice à se poser les vraies questions», remarque quant à lui David Sinnandi. Un constat que Frédéric Richard analyse à l’aune d’une «perte de repères» qui, selon lui, aurait forcément un rôle à jouer dans ces conversions. «La décision de voyager, souvent motivée par une recherche d’exotisme et de surprise, ouvre à cette altérité que peut représenter Dieu».