Et si toutes les ONG étaient climatiquement neutres?
Pour réduire les émissions de CO2, l’échelon individuel n’est pas suffisant, mais agir au niveau étatique non plus. Les organisations, par contre, jouent un rôle décisif dans l’économie et la société. Les ONG humanitaires, par leurs budgets parfois colossaux, ont une responsabilité et une influence puissante. Voilà l’analyse de Bruno Jochum, ancien directeur de Médecins sans frontières, fondateur du Climate Action Accelerator (CAA). En un an et demi, il a convaincu treize structures d’aides, dont le Comité international de la Croix-Rouge, de rejoindre son initiative : faire baisser l’impact carbone des ONG d’au moins 50 % d’ici 2030.
Vous avez lancé un «accélérateur», terme issu de la culture start-up. Pourquoi?
Parce que notre idée n’est pas de faire du plaidoyer, mais d’être dans le «comment», de passer concrètement à l’acte et de mener des actions validées par la science, et documentées. Nous misons sur l’effet domino, les échanges dans des communautés de pratiques et l’accès gratuit à ces informations pour diffuser ce savoir au sein d’autres ONG, et même parmi les entreprises intéressées.
La culture de l’humanitaire est basée sur l’urgence. La réduction du CO2 demande de la planification. Est-ce compatible?
Clairement, l’humanitaire a longtemps estimé que le changement climatique était «trop gros», qu’il devait être pris en charge par les gouvernements, qu’il fallait se concentrer sur «sa mission». Mais le temps passe, les rapports se multiplient, on ne peut plus tout attendre des gouvernements: il faut aller vers l’effort de tous.
On sait que la situation est grave, mais les effets seront encore plus graves. L’humanitaire a une conscience très aiguë des impacts à venir du changement climatique pour les populations, ainsi qu’une culture opérationnelle, du «faire». Evidemment, cela passe par des décisions stratégiques sur les pratiques organisationnelles.
Lesquelles?
Trois sources d’émissions représentent plus de 90 % de l’empreinte carbone d’une organisation: l’achat de biens et de services, les transports et les déplacements de personnes, l’énergie et les infrastructures. Il s’agit de réduire effectivement ces émissions, sans avoir recours à des crédits carbone: pas de greenwashing chez nous! Le tout sur quelques années. Très souvent les solutions existent déjà. Et d’autres sont en train d’arriver. Ce n’est pas parce qu’on n’arrive pas à décarboner à 100 % tout de suite qu’il ne faut rien initier… L’urgence, c’est déjà de diminuer ses émissions de 30 à 50 %. Et nos études ont montré que cela entraîne souvent des économies…
Auriez-vous des exemples?
Remplacer les générateurs d’urgence au fioul par des centrales photovoltaïques! Cela demande une montée en compétences des partenaires, mais c’est un investissement, plus qu’un coût. Réduire le fret aérien et préférer le fret maritime. Pour ses déplacements en avion, l’humanitaire a adopté le low cost comme le reste de la société, pourtant nous savions faire autrement avant. Il s’agit de revenir à des usages plus raisonnables de l’avion. Les co-bénéfices sont nombreux; plusieurs grandes institutions dans le domaine de la santé sont parvenues à cette conclusion en faisant le calcul.
Comment vous financez-vous?
Nous sommes une association à but non lucratif, financée par les partenaires ayant rejoint l’initiative pour mutualiser leur expertise. Il y a des financements publics pour compléter cela et, on l’espère en 2022, des fondations privées qui nous apporteront de quoi nous développer.