Les banques suisses impliquées dans le financement du marché de l’huile de palme

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Les banques suisses impliquées dans le financement du marché de l’huile de palme

Joël Burri
7 mars 2017
Entre 80 et 85% des terres du Kalimentan occidental, une des régions de l’ile de Bornéo en Indonésie, sont exploitées par des groupes internationaux. L’industrie minière et les monocultures pour la production d’huile de palme et de papier ne laissent que peu de place et de ressources à la population locale. Dans le cadre de leur campagne annuelle, Pain pour le prochain et Action de carême se sont demandé quelle est l’implication des banques suisse dans ce marché.

Photo: cultiver une palette pour rendre symboliquement une parcelle de terre à la biodiversité est l’une des actions proposées dans le cadre de la campagne œcuménique. Matthias Dörnenburg d’Action de carême, Kartini Samon, de GRAIN organisation partenaire en Indonésie et Miges Baumann de Pain pour le prochain (de gauche à droite) s’y sont adonnés lundi à Berne.

 

«Imaginez: on sonne à votre porte et des individus armés portant l’uniforme des services de sécurité vous informent qu’il ne vous reste plus que cinq jours avant que votre maison ne soit démolie, car une multinationale s’est approprié les terres de votre village pour y planter du soja à grande échelle», raconte Matthias Dörneburg, directeur ad interim d’Action de carême. «Cette expérience existentielle, des milliers de personnes la vivent chaque année», complète-t-il. La campagne œcuménique de Pain pour le prochain et d’Action de carême porte cette année sur la problématique de l’accaparement des terres. Lundi à Berne, les deux organisations ont dévoilé une étude cherchant à évaluer l’engagement d’organismes financiers suisses dans ce phénomène.

«Ces dernières années, de nombreuses ONG ont communiqué sur l’impact écologique et social de la culture de palmiers à huile. Le grand public sait qu’il faut éviter les produits contenant de l’huile de palme», a rappelé Miges Baumann, responsable de la politique de développement de Pain pour le prochain, en conférence de presse. «Mais nous avons aussi un impact sur cette question, par exemple au travers de nos caisses de pensions.» Dans le cadre de la campagne œcuménique, les organisations proposent d'agir au travers desbanque avec un modèle de lettre que tout un chacun peut envoyer à son organisme financer pour qu’il renonce à toute relation commerciale avec des entreprises pratiquant l’accaparement des terres.

Les deux ONG ont demandé à l’organisation néerlandaise Profundo d’étudier «les investissements et prestations de services de 17 banques suisses en faveur de vingt des principaux fabricants et distributeurs d’huile de palme entre 2009 et août 2016.» Credit Suisse apparaît ainsi comme la banque qui a fourni le plus de prestations de services, pour un montant de 900 millions de dollars. Loin devant la Banque cantonale zurichoise à moins de 150 millions. Credit Suisse a, par exemple, aidé à deux reprises le groupe DSN à lever du capital au travers de l’émission d’actions.

Sur le domaine de la gestion d’actions et d’obligations liée au marché de l’huile de palme, c’est le groupe Safra, qui avec plus de 250 millions de dollars apparaît comme la banque la plus active dans ce marché, devant UBS et Pictet.

Protestinfo a contacté Credit Suisse et Safra. Seule la première a pris position. «L’étude de Pain pour le prochain couvre des relations financières avec des entreprises diversifiées du secteur agroalimentaire durant une longue période, allant de 2009 au 2016. Durant cette période, les normes applicables en vigueur concernant ce secteur ont évolué, comme celles de la Table ronde pour la production durable d’huile de palme (RSPO)», réagit le service de communication de la banque. «Pour éviter des violations des droits humains et des normes environnementales nous exigeons des clients actifs dans ce secteur qu’ils soient membres de la RSPO et que leurs opérations soient certifiées selon les critères de la RSPO», ajoute-t-il et précise: «Le respect des droits humains et des standards de durabilité, comme la RSPO, sont parties intégrantes de nos directives.»

«Sur le papier et sur internet, les instructions de la banque sonnent bien, mais la réalité est malheureusement différente», rétorque Miges Baumann. Sur place Pain pour le prochain et ses partenaires locaux ont constaté de nombreuses violations des normes RSPO et des normes internes de Credit Suisse, notamment des plantations dans des zones protégées. Par ailleurs dans certaines régions le taux de terres donnant lieu à des contestations de propriété atteint 90%.

«Je ne tiens pas en haute estime la “culture durable” qui est l’objectif d’associations telles que la RSPO», assène pour sa part Kartini Samon, collaboratrice de l’ONG indonésienne GRAIN, qui milite pour la sauvegarde de l’agriculture locale. «A mon avis —et c’est aussi la position officielle de GRAIN — la RSPO et les autres dispositifs visant à promouvoir les investissements responsables dans l’agriculture ne sont qu’un prétexte pour que les investisseurs et les multinationales continuent à avoir les mains libres», ajoute la jeune femme qui donnera une série de conférences jusqu'au 20 mars dans la cadre de la campagne.