La privation de liberté est une souffrance permanente

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La privation de liberté est une souffrance permanente

Diaconie
Porteurs de liens avec l’extérieur, d’une aide pour conquérir des libertés intérieures et parfois pour affronter quelques démons intérieurs, des aumôniers de prison accompagnent les détenus en Romandie.

«De l’extérieur, on s’imagine que les prisonniers ne sont pas à plaindre: ils ont un toit, un lit, de quoi se nourrir. Mais c’est oublier le fait que lorsqu’on est en prison, on n’est plus libre de rien. Si vous souhaitez faire une photocopie pour votre avocat ou prendre un cachet contre le mal de tête, vous devez demander l’autorisation. Tout ce que vous faites est soumis à la décision de quelqu’un d’autre», rappelle Natalie Henchoz, aumônière dans les prisons vaudoises d’Orbe et de Lonay. «On peut évidemment étendre ce qui peut paraître anecdotique à d’autres considérations comme le désir d’être en contact avec ceux qu’on aime par une visite, un échange téléphonique, ou encore par courrier. Ce qui nous semble très ordinaire dans notre vie quotidienne fait souvent cruellement défaut dans l’univers carcéral, aux dires de nombreuses personnes détenues», complète Christian Reist, aumônier à Champ-Dollon (GE). «Dans une phase de la procédure judiciaire, un tel accès aux ressources d’amour et de liens est soumis à l’approbation du Service du procureur.» Pour son collègue, Eric Imseng, «la privation de liberté est une douleur qui persiste, malgré la qualité du lieu de vie dans lequel la personne détenue vit!» 

Un espace qui se réduit

«Les détenus doivent conquérir un espace de liberté et c’est dans leur monde intérieur qu’ils peuvent souvent le retrouver. C’est là qu’ils peuvent parfois trouver les ressources qui leur permettent de lire, de commencer une formation, de se projeter dans l’avenir. C’est peut-être pour ça que le moment du jugement est souvent vécu comme un soulagement. Outre la fin des conditions de détention souvent particulièrement rigoureuses pour les besoins de l’enquête, à partir de là, ils savent le temps qu’ils passeront en prison et peuvent se projeter dans un processus», relate Eric Imseng. «Durant l'expérience du semi-confinement de ces dernières semaines, j’ai réalisé que la réduction de ma liberté de mouvement m’avait demandé une énergie folle. Comme de très nombreux prisonniers, j’ai eu de la peine à dormir par exemple», avoue Natalie Henchoz. «Pourtant j’imaginais que ma foi, qui est pour moi souffle et liberté, me rendait mieux outillée face à l’enfermement». Dans le canton de Neuchâtel, la nature peut aussi manquer aux détenus: «Je me souviens d’une personne que j’avais accompagnée lors de sa première ‹conduite›, c’est-à-dire une sortie accompagnée. La première chose qu’il a voulu faire, c’est enlacer un arbre.» 

«C’est sans doute difficile d’affronter seul des zones sombres (blessures et traumatismes, récents ou plus anciens), de ce qu’il est important de lâcher et qui, dans une relation d’accompagnement, peut être suffisamment mis en lumière, éclairé, mis à sa juste place pour moins envahir et rendre les relations avec l’autre moins compliquées», estime Christian Reist, qui y voit une partie importante du sens de son métier. Thomas Isler confirme que l’identité de prisonnier marque profondément les détenus. «Lors de leurs premières sorties, beaucoup témoignent de leur impression que tout le monde connaît leur parcours, comme si c’était marqué sur leur front.» 

Un abandon vers la liberté

Ainsi, «la privation de liberté fait mal et le chemin vers la liberté fait peur», rapporte Eric Imseng. Après avoir passé des mois, voire des années dans un univers coupé du monde, le retour à la liberté est souvent vécu comme une nouvelle épreuve. «Après une longue période où la moindre décision dépendait de quelqu’un d’autre, choisir un abonnement de téléphonie mobile apparaît soudain difficile», témoigne Thomas Isler. «Et parfois, les murs de la prison ont aussi préservé le détenu de son entourage. Suivant les expériences de vie, il n’est pas toujours évident de se confronter à nouveau à sa famille.»