Vivre dans un monde désenchanté
«Quelle est notre motivation première quand on se lève le matin?» Cette question, la sociologie se l’est posée. «S’il y a quelque chose qui nous tient en vie, je pense que c’est que l’on investit demain», explique Sandro Cattacin professeur au département de sociologie de l’Université de Genève. En comparant les résultats des enquêtes successives menées en Allemagne (Shell-Studies) et depuis quelques années en Suisse auprès des jeunes (CH-X), le chercheur constate que «dans les années 1970, les jeunes avaient comme perspective d’avoir à 30 ans un travail, une famille, comme tous les autres. C’est cela qu’on investissait. Aujourd’hui, si les comportements restent axés vers un demain plus proche, les jeunes ont des perspectives plus individuelles, réussir l’examen, finir les études, bien faire ce qu’on a commencé. Les gens n’investissent plus forcément la foi. Beaucoup se libèrent de contraintes imposées par les institutions ou les religions. On redécouvre l’individu, qui devient lui une espèce de nécessité d’une foi, mais en soi», estime-t-il.
Société ouverte aux différences
Pour le chercheur genevois, cette libération des grands idéaux communs est positive. «Les gens osent remettre en cause les dogmes de leur culture ce qui leur permet de se fixer des règles de vie en cherchant des compromis avec les personnes avec qui ils cohabitent. Plus on est différent, plus on va vers une société sensible à la différence où chacun peut trouver sa place», se réjouit-il. «J’ai travaillé sur le quartier genevois des Palettes. Ce lieu multiculturel est un exemple de lieu de vie où s’est créé un esprit de quartier malgré – ou plutôt à cause – d’un contexte de différences d’origine marquées.»
«Les humains ont besoin de cohérence pour gérer leur vie, pour vivre en confiance. Cette cohérence, il la trouvent dans ce monde ou en dehors», note Jacques Besson, professeur honoraire en psychiatrie communautaire à l’Université de Lausanne. Spécialiste en addictologie, il a beaucoup travaillé sur les liens entre vie spirituelle et santé mentale. «Le désespoir conduit à l’addiction ou à l’autodestruction», note-t-il.
Névrose de civilisation
«On vit dans un monde où la science a fait des promesses qu’elle a de la peine à tenir», enchaîne le chercheur. «Cette perte de sens a fait naître un vide existentiel chez nombre de nos contemporains. On pourrait parler de ‹névrose de civilisation», avance-i-il. «Les nombreuses agressions, dépressions, addictions dont nous sommes témoins en sont probablement le signe.»
Il insiste sur le rapport entre spiritualité et santé. «Lorsque le dalaï-lama était venu à l’université de Lausanne, je lui avais demandé s’il y avait un lien pour lui entre spiritualité et psychisme», raconte-t-il. «Il a eu de la peine à comprendre, tellement cette question était décalée par rapport à son mode de pensée. Il m’a finalement répondu que, pour lui, la méditation donne la sagesse et la compassion, et que tout le reste en découle. C’est une pyramide inversée par rapport à nos valeurs où la première préoccupation est accordée à la santé physique!»
«La science commence à s’intéresser à la ‹salutogenèse› », poursuit Jacques Besson, «c’est-à-dire à ce qui fait que quelqu’un est en bonne santé. La médecine a beaucoup travaillé sur les causes des maladies, mais l’idée c’est de chercher les causes de la bonne santé.» Comme cela transparaît dans le mot ‹salutogenèse›, ‹santé› et ‹salut› proviennent de la même racine latine. Ce n’est pas une surprise pour Jacques Besson. «La spiritualité fait partie de ces attracteurs de bonne santé.»