Au travail, les écrans vont-ils finir par nous déshumaniser ?
Loin d’être une activité parmi d’autres, le travail est l’un des fondements de notre société et de notre identité. Ce constat indépassable est ressorti tout au long d’une discussion entre experts et invités de la Pastorale vaudoise oecuménique dans le monde du travail. Force est de constater que nous lui consacrons «près de la moitié de notre vie active», pointe Alain Martin, pasteur dans le monde du travail et ingénieur-physicien. De plus, comme l’a rappelé Patrice Mignon, philosophe et ancien dirigeant d’entreprises, notre activité professionnelle est fondamentale, car elle reste l’expérience à partir de laquelle nous construisons notre autonomie et notre capacité de nous relier aux autres. Bref, «tout ce qui constitue notre dignité en tant qu’êtres humains», estime-t-il, citant les philosophes Hannah Arendt et Simone Weil.
Une question de sens
Cette dignité est menacée par les écrans. Beaucoup d’entre nous ont expérimenté le télétravail, mais la digitalisation va bien au-delà, puisqu’elle consiste à virtualiser autant que possible la production de biens et de services. Ce qui est en jeu, avec cette quatrième révolution industrielle, ce n’est pas seulement un changement de moyens techniques, mais bien une modification profonde «de la nature et de la qualité des relations humaines au travail», selon Patrice Mignon.
Ce processus inéluctable de numérisation est principalement dicté par une course aux profits, constate Alain Martin. Mais il n’est pas forcément à rejeter en bloc. «La numérisation permet de supprimer les tâches répétitives» et souvent aliénantes. Mais que faisons-nous du temps gagné? Pour les personnes concernées, «la course à l’efficience doit permettre une quête grandissante de sens», estime le professionnel, qui a développé une méthode à ce sujet (voir encadré).
Si la révolution numérique s’impose à toutes et à tous, certaines personnes n’ont pas ou plus les capacités d’acquérir un socle complet de compétences entièrement neuves: pour elles, en particulier, l’apprentissage doit être repensé, rendu plus accessible, ont pointé plusieurs participants.
Enfin, le pasteur Albrecht Knoch, responsable du service de l’Église dans le monde du travail dans le Wurtemberg (D), a rappelé que «La culture d’une entreprise doit tenir compte des besoins des employés, de leurs équilibres psychosociaux», bouleversés par la digitalisation. Aussi propose-t-il de réfléchir à la santé «comme une composante de la dignité». Et si prévenir à tout prix les burn out, c’était nous respecter? Car l’enjeu, pour pour de nombreuses personnes actives, notamment en Suisse avec sa sacro-sainte culture protestante du travail, c’est parfois, tout simplement… de réussir à décrocher de leurs écrans.
Dignité dans la digitalisation
Une check-list en cas de numérisation d’un service, d’une entreprise, d’un processus, d’une tâche…
— Comment développer l’attention et le respect envers les collègues et les humains?
— La numérisation est-elle au service de l’humain ou l’asservit-elle?
— Comment est-ce que je vis ma dignité dans un monde numérique?
— Quelle stratégie et quels outils sont employés?
— A qui, à quoi suis-je asservi·e?
— Qui sert qui? La machine me sert-elle ou bien est-ce l’inverse?
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A noter
Prochainement, une série de conférences virtuelles (en anglais) sur le bien-être dans un monde du travail numérisé sera organisée par le réseau européen d’action des Églises dans le monde du travail. www.pin.fo/numerisation.