Neutralité à l’école: Plus facile à dire qu’à faire!
«Les élèves de cinq ou six ans ont des questions très cash. Et l’on ne peut pas ne pas leur répondre quand ils nous disent: et toi maîtresse, qu’est-ce que tu crois», a relevé une enseignante participant aux Assises romandes de l’éducation du Syndicat des enseignants romands qui avaient lieu samedi 22 septembre à l’Université de Lausanne. La journée avait pour titre, «laïc, le hic?» et entendait permettre de débattre de la place du fait religieux dans l’école. La question a été abordée sous divers angles tels que le contenu des heures d’enseignement en «éthique et culture religieuse», la gestion des interférences du religieux avec le milieu scolaire et l’analphabétisme religieux.
Une atteinte proportionnée à la liberté des enseignants
Les élèves ont le droit de porter des signes religieux, mais les enseignants, en tant que détenteur d’une autorité et représentant de l’État doivent s’en tenir à la stricte neutralité tant religieuse que politique. Enseignante avant d’être conseillère d’État genevoise à la tête du Département de l’instruction publique, la socialiste Anne Emery-Torracinta l’a rappelé. Elle a aussi rappelé que la neutralité de l’État et donc de l’école publique «ne veut pas dire la négation du fait religieux.»
Militant pour une intégration de l’enseignement de la culture religieuse dans le cadre des branches existantes, en particulier l’histoire, qui a été sa branche de prédilection, elle a comparé: «quand j’enseignais alors que j’étais élue au Grand conseil, tout le monde savait que j’étais socialiste, mais je ne me serais jamais permis de venir en classe avec un t-shirt portant le logo du parti. Et cela ne m’a jamais empêché de parler du libéralisme économique.»
Interrogée sur l’atteinte aux droits des enseignants que représente l’interdiction de porter des signes religieux, Anne Emery-Torracinta a tranché: «c’est effectivement une atteinte à la liberté individuelle, mais elle est proportionnée pour les enseignants.» Elle ne le serait par contre pas pour les usagers que sont les élèves. «La jurisprudence confirme cette pratique!» Une enseignante s’est toutefois étonnée: «Finalement, on essaie d’apprendre le vivre ensemble aux élèves malgré leurs différences, mais on refuse de reconnaître la multiplicité des enseignants? Le mieux serait de leur imposer un uniforme, car une Rolex aussi, est le signe de quelque chose.»
Le religieux fait partie de la société. Il est aussi à l’école
Outre les questions d’habillement, il existe d’autres «interférences du religieux avec l’école», a pour sa part rappelé Christine Fawer-Caputo, professeure formatrice à la Haute-école pédagogique de Lausanne. Interdits alimentaires, restrictions de contacts physiques, interdits de l’image dans certaines religions, rejet de l’occulte, sont autant de situations où l’enseignant devra prendre position.
«Nous avons par exemple eu un cas de parents chrétiens qui refusaient que leur enfant lise une histoire dans laquelle il y avait une sorcière», relate-t-elle. Elle encourage ses étudiants à entrer en matière si les demandes ne nuisent pas aux apprentissages de l’élève, si elles ne péjorent pas l’ensemble de la classe, si elles ne posent pas problème d’intégration ni de sécurité.
Elle appelle enfin les enseignants à penser à l’intérêt de l’enfant. «Évitez de le mettre dans une situation où il est tiraillé entre ce qu’il entend en classe et ce qu’il entend à la maison.» Les enseignants sont donc invité à s’intéresser aux différentes croyances pour mieux comprendre la situation de leurs élèves.
Neutralité bienveillante
«La neutralité devrait toujours être bienveillante. Du moins de la part de celui qui représente l’autorité», prône pour sa part Élisabeth Ansen Zeder, professeure à la Haute école pédagogique-Fribourg. Pour elle, la neutralité se trouve dans un difficile équilibre à trouver entre liberté de conscience, respect de l’autonomie de la société civile par rapport aux normes religieuses et non-discrimination. Ainsi refuser toute présence du religieux, au mépris des droits des individus, serait ainsi une solution de replis témoignant avant tout d’une méconnaissance des différentes confessions et religions. «Parfois quand on prône la laïcité, c’est par incompétence», résume-t-elle.
Des outils pour les élèves
Également invité à ces assises, le pasteur Serges Molla a pour sa part défendu l’enseignement de l’éthique et culture religieuse comme nécessaire à une période où les connaissances religieuses s’effritent. «S’il va de soi que les mythologies grecques et romaines ont influencé notre culture et que pour cette raison il est normal de les étudier, il en va de même pour le judéo-christianisme.»
Mais cet enseignement doit avant tout donner des outils aux élèves pour comprendre et critiquer la société dans laquelle il se trouve. «“Racisme”, “terrorisme”, ne fait-on pas que reprendre le langage du groupe dominant au détriment du groupe dominé?», interroge le pasteur qui a beaucoup travaillé notamment sur la théologie de Martin Luther King. «Je l’affirme, le terme de musulman est aujourd’hui analogue à celui de “noir” aux États-Unis durant des années. Il réduit des personnes à leur seule identité religieuse!», dénonce-t-il.
Un enseignement œuvrant au vivre ensemble
Comment l’enseignement d’éthique et culture religieuse est-il donné? Permettait-il aux élèves de développer ces fameux outils nécessaires pour comprendre la société multireligieuse dans laquelle ils se trouvent? C’est ce qu’essaie de vérifier une étude de terrain menée actuellement en Suisse romande et présentée en tout début de ces assises de l’enseignement. Grâce à des entretiens menés avec des enseignants pour savoir quelle est leur finalité au travers de ce cours, il apparaît qu’apprendre aux élèves le respect des différences, leur permettre de comprendre d’où ils viennent et leur permettre de développer une culture générale font partie des éléments régulièrement évoqués.
Christine Fawer Caputo invitée par Forum (RTS)