Priez jeunesse!

La Française Joan Charras Sancho est la nouvelle responsable jeunesse de l’Eglise réformée vaudoise / DR
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La Française Joan Charras Sancho est la nouvelle responsable jeunesse de l’Eglise réformée vaudoise
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Priez jeunesse!

Portrait
La Française Joan Charras Sancho est la nouvelle responsable jeunesse de l’Eglise réformée vaudoise, où elle veut œuvrer pour une meilleure inclusion à tous les échelons.

Docteure en théologie, Joan Charras Sancho est pour le moins authentique. Pour assumer son nouveau poste de «coordinatrice cantonale jeunesse» de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV), cette Française, mère de trois grande filles, n’a pas hésité à élire domicile dans une des quinze chambrettes mises à disposition par l’Eglise méthodiste unie à la Riponne (Lausanne). Une vie en communauté qui sied parfaitement à cette quadra.

 «Enfant unique, j’ai toujours adoré les camps», relate-t-elle. «La vie en commun, le partage, le fait de devoir trouver des moyens de se supporter les uns les autres...» Des colonies, elle en compte des dizaines à son actif. D’abord avec ses parents, travailleurs sociaux qui «s’occupaient des jeunes de l’immigration dans les quartiers» de Strasbourg. Ensuite, comme organisatrice aux côtés de son mari pasteur. «Notre bonheur c’était de pouvoir sortir des gamins de certains milieux déshérités et vivre ensemble des activités au grand air», formule-t-elle.

Joan Charras Sancho affiche sans détour ses origines «gaucho»: «Mes parents étaient très engagés socialement, venant tous deux de milieux ayant connu les dictatures et les oppressions du XXe siècle», confie-t-elle. «Mon père, né en Algérie française, s’est rapatrié en Espagne, où il a connu le franquisme. Tandis que ma mère, grande militante du Mouvement de libération des femmes, vient du quart-monde alsacien d’après-guerre.» C’est non sans fierté qu’elle tisse alors le roman familial, d’une «grand-mère résistante amputée d’une jambe» à son grand-père «antifasciste». «Quand mes parents se sont rencontrés, ils croyaient en un monde nouveau, au dépassement des classes.»

Différences

Rapidement après sa naissance, ces derniers divorcent et, «très pris par leurs engagements et leur militance de gauche», mettent en place «un système de garde très alternatif pour l’époque». De son enfance, elle confie des souvenirs de «harcèlement en tant que fillette grosse et à la peau plutôt basanée en comparaison aux petits Alsaciens». Qu’importe! «Je me débrouillais toujours en créant d’autres amitiés: j’étais le genre de personne à avoir plein d’amis bizarres», s’amuse-t-elle.

A l’âge de 12 ans, la petite Joan s’aperçoit que son père «fréquente beaucoup un homme un peu plus jeune que lui»: «Cela m’a mis la puce à l’oreille, et de fil en aiguille, j’ai compris...», narre-t-elle pudiquement. «Je me souviens avoir demandé à ce qu’il vienne vivre avec nous, qu’on forme une famille. J’avais besoin d’unité dans ma vie.»

Son intérêt pour l’Eglise grandit à la même période. «J’y trouvais un côté stable et rassurant», exprime-t-elle. Auprès de sa marraine, elle découvre le travail pastoral au sein d’une structure «qui allait récupérer des gamins dans les squats et les sauvait de la prostitution». Si elle en a «peut-être trop vu» pour son âge, dont «une tentative de suicide un soir de Noël», c’est la révélation: «C’est ça que je veux faire: travailler dans des endroits où on s’occupe des autres: des migrants et des punks. C’est ce pourquoi Jésus est venu», se souvient-elle s’être dit.

Militance et discrimination

Joan Charras Sancho s’engage alors dans des études de théologie à Strasbourg, où elle rencontre son mari. Tout va très vite: le mariage et le premier enfant. «A 25 ans, alors qu’il entre en stage pastoral et moi en doctorat, j’ai déjà deux enfants. On était tout le temps épuisés, sur le fil du rasoir», raconte-t-elle. Pendant une dizaine d’années, elle œuvre avec lui à la mise en place d’un ministère jeunesse, enchaînant les formations en animation.

En parallèle à la finalisation de son doctorat, elle s’engage petit à petit dans sa propre voie professionnelle, notamment en tant que responsable de la Centrale de littérature chrétienne francophone «qui gère une centaine de bibliothèques pour la formation des pasteurs dans une trentaine de pays, essentiellement en Afrique francophone, dans le Pacifique et les Caraïbes».

De ses origines, Joan Charras Sancho a cependant gardé toute la fibre militante, entre la rédaction d’un ouvrage défendant le concept d’«accueil radical» en Eglise et la cofondation d’une Antenne Inclusive pour les jeunes LGBTQ+ à Strasbourg. Elle livre également un combat féministe, «réactivé», dit-elle, au contact de ses «sœurs africaines»: «Ces pasteures m’ont interpellée sur la nécessité d’accorder une vraie attention aux femmes, car elles ont souvent des récits de discrimination à raconter, qui peuvent être une force pour l’annonce de l’Evangile.»

Si la théologienne croit en cette notion d’«empowerment bibique des femmes», elle n’en est pas moins «scandalisée par le fait qu’aujourd’hui encore, une femme sur trois est victime de violences physiques ou sexuelles». Raison pour laquelle elle participe intensivement à la campagne mondiale des Jeudis en noir, initiée il y a une vingtaine d’années par le Conseil œcuménique des Eglises en signe de résistance.

Si ses luttes et sa présence engagée sur les réseaux sociaux peuvent parfois intimider les Eglises, Joan Charras Sancho rappelle avec force que son«profil militant» ne l’«empêche pas d’être fonctionnelle».

Vitalité et handicaps

Après trois années passées à «revitaliser» la paroisse réformée zurichoise de langue française en tant que diacre chargée des familles, de la jeunesse et des migrants, Joan Charras Sancho a rejoint début septembre l’EERV, où l’attendent de vastes défis. «Si aujourd’hui l’accueil des personnes LGBTQ+ passe crème, il y a encore beaucoup à faire pour l’inclusion des personnes venant avec des handicaps ou d’autres milieux socio-économiques ou culturels», observe-t-elle. Pour ce faire, elle compte bien donner la parole aux premiers concernés: «Il est important de valoriser les jeunes et de faire une place à leur manière de vivre la spiritualité.» Elle en veut pour preuve la réussite de la seconde édition du festival Battement réformé (BREF), conçu par et pour les jeunes réformés, qui s'est tenue à Morges les 2-3 novembre dernier. Elle en est convaincue: «La confiance est gage de réussite.»

EN DATES

1980 Naissance à Strasbourg

2014 Co-publie «L’Accueil radical: ressources pour une Eglise inclusive»

2015 Termine son doctorat en théologie

2021 Diacre pour la paroisse réformée de langue française de Zurich

2024 Devient coordinatrice cantonale jeunesse de l’EERV au 1er septembre