La masculinité ambiguë des prêtres catholiques
Josselin Tricou, enseignant à l’Institut de sciences sociales des religions de l’université de Lausanne, étudie depuis plusieurs années la figure masculine du prêtre catholique au sein des sociétés occidentales. Il a également participé aux travaux de la commission indépendante mise en place par l’Eglise de France (la CIASE) pour enquêter sur les violences sexuelles en contexte catholique.
En quoi la masculinité des prêtres que vous avez étudiée est-elle «atypique»?
Par rapport aux autres confessions, l’Eglise catholique a fait du prêtre une figure unique. Elle a érigé son célibat et sa sacralisation comme une distinction. Or la masculinité qui en découle est doublement paradoxale. Par rapport aux normes catholiques elles-mêmes et aux normes sociales. D’abord, parce que l’Eglise défend l’idée d’une vocation «naturelle» à une conjugalité hétérosexuelle; or le prêtre y échappe «surnaturellement». Ensuite, parce que très longtemps l’institution a considéré que le célibat consacré avait un statut supérieur à une situation maritale. L’Eglise catholique fait donc prévaloir une masculinité sacerdotale atypique sur la masculinité laïque jugée normale.
En quoi cette définition «atypique» du genre masculin dans l’Eglise est-elle un enjeu crucial pour l’institution?
Dans une institution, le genre est toujours une manière de signifier le pouvoir et réciproquement. Par exemple, la messe est une formidable mise en scène du pouvoir dans l’Eglise catholique romaine. Récemment est apparue dans certaines paroisses une distinction inédite entre «enfants de choeur»: les filles servent l’assemblée, les garçons servent le prêtre. L’actuelle réaffirmation de la différence des sexes au coeur du rituel et de la masculinité du prêtre dans l’Eglise catholique sert tout à la fois la défense d’un ordre ecclésial et d’un ordre de genre, tous deux remis en cause. Il s’agit bien, pour une institution représentée par des hommes performant une masculinité atypique, de donner des gages de masculinité aux yeux de ses fidèles et de la société.
Vous expliquez les difficultés actuelles de l’Eglise catholique à évoluer par le «verrou sacerdotal», lié à cette masculinité. C’est-à-dire?
Ces termes désignent le résultat d’un processus historique qui a conduit au blocage actuel. Progressivement, dans la pratique institutionnelle, trois éléments se sont liés de manière indéfectible. Le sacerdoce du prêtre, compris comme sa mise à part des fidèles via essentiellement le sacrifice de la sexualité, d’un côté. L’exclusion des femmes et le discours homophobe portés par l’institution, de l’autre.
Mais les crises récentes au sein du catholicisme viennent balayer d’un revers de main tout effort pour défendre envers et contre tout ce «verrou». Celui-ci apparaît toxique pour les fidèles (avec les abus de pouvoir qui s’exercent surtout sur les femmes et les enfants), toxique pour les prêtres eux-mêmes (quand s’installe en eux une forme de clivage interne) et discriminatoire au regard d’une société qui fait désormais de l’égalité entre les sexes et les sexualités son horizon éthique. Il reste qu’interroger ce verrou, c’est pour l’Eglise catholique prendre le risque de sa «protestantisation». Et ça, c’est inimaginable pour beaucoup. D’où l’érection du célibat sacerdotal – qui est la clé qui ferme ce verrou – en quasi-dogme ou en totem d’identité par certains.
A lire
Josselin Tricou, Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres catholiques, PUF, 2021.