Un joyeux échange
Ne lui parlez pas de mendicité, d’addictions ou de violences. Ce n’est pas le sujet. Ce que côtoie Roselyne Righetti depuis 18 ans s’appelle «la pauvreté», cette réalité si difficile à regarder en Suisse, si connotée.
Cette situation qui, en 2019, condamne toujours à l’isolement. Sauf ici. Dans quelques pièces d’une maison discrète près de la Riponne, à Lausanne, Roselyne accueille tout le monde. Ce refuge chaleureux et coloré a été fondé par son prédécesseur, le pasteur Jan de Haas. On s’y sent vite chez soi. Un bureau, une kitchenette où l’on vient se faire un café, une salle commune, et un oratoire avec un petit espace de recueillement, boisé, pour les échanges plus intimes. C’est petit, mais 300 à 400 personnes fréquentent le lieu à l’année. Seules limites: violence, consommation de drogues et d’alcool sont interdites. Comprendre: «On peut venir bourré, mais on met sa bière au frigo.» De temps en temps bien sûr, «ça pète et on fout une personne dehors». Avec l’expérience, Roselyne sait que la personne reviendra, «et elle demandera pardon». Mais ces cas restent des exceptions. Au quotidien, «on est bien ensemble. Chacun ici est reconnaissant pour ce climat de paix, de joie.» Et c’est vrai, à entendre les rires et les discussions qui émanent de la pièce principale.
Un réseau exceptionnel
Ici, les «sans domicile fixe», – « je préfère ce terme à celui de sans-abri, car ils ont toujours un abri, même si c’est des toilettes!» précise Roselyne –, totalement invisibles dans les espaces publics, retrouvent une place. Une dignité; ils se déchargent de leurs soucis.
Face aux nombreuses problématiques qu’implique le manque de ressources matérielles, Roselyne possède une arme imparable: le lien. Son réseau, d’abord, immense, constitué au fil des années. Des bureaux de professeurs du Chuv à la police vaudoise, Roselyne promène ses hautes bottes, son gilet de cuir et sa queue-de-cheval blonde dans tous les milieux. Elle sait débloquer les situations d’un coup de fil. Elle appelle ça «jouer les passe-murailles». «Ceux que l’on accompagne sont pris dans des carcans stricts: traitements, décisions de justice, protocoles… Nous apportons de l’oxygène là-dedans.»
En «Ma Dalton» selon ses mots, elle visite, écrit, envoie des colis à des personnes détenues, internées... La pauvreté isole, en particulier les hommes. «Les femmes tombent souvent dans la prostitution, sous la coupe d’un mac.» Roselyne essaie de maintenir ou rétablir les liens familiaux autant que possible. Souvent, c'est peine perdue.
Une grande famille
Et petit à petit, c’est la pastorale qui joue le rôle «d’une grande famille». Chacun ici est salué par le prénom qu’il a choisi de donner. Parfois l’accompagnement dure des années, et s’étend à la génération suivante. Pour chacun, «je dois me souvenir de tout: prénom des enfants, lieux, dates…», s’impose-t-elle.
Son compagnon, Jean-Marc, et son chien travaillent à ses côtés, les journées sont longues. Mais le regard de cette pasteure de 63 ans pétille et au détour d’une phrase, elle éclate souvent de rire. «C’est mon bonheur, ce job, je peux pas le cacher.» Au quotidien, elle l’assure: «Jésus est présent ici, dans la rencontre. C’est ce que Martin Luther appelait ‹le joyeux échange›: la présence du Christ en nous se reflète en l’autre et nous revient. Ici, on est ensemble, ou on n’est pas.»
En savoir plus
http://aumoneriessolidarite.eerv.ch/aumonerie-de-rue.
Tous les dimanches, 20h, culte à la chapelle de la Maladière (Lausanne). Journal: «Feuillets de la Maladière»